Paul Vacca

Sommes-nous désinformés sur la désinformation?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Si l’on en croit les personnes bien informées nous serions tous mal informés. La désinformation régnerait au point que nous, “citoyens ordinaires”, serions désormais dans l’incapacité de distinguer le vrai du faux. D’ailleurs, cherchons-nous seulement la vérité, entièrement plongés que nous sommes dans notre poursuite de sensations et otages de nos émotions ? En 2016, un terme a d’ailleurs été façonné pour décrire cet état de fait : nous vivrions désormais dans l’ère de la “post-vérité”.

Toutefois, cette notion de “post-vérité” semble elle-même entretenir un léger problème avec la vérité. De par son appellation même, elle postule en effet qu’il y aurait eu un “avant”, à savoir un temps où la vérité aurait été l’unique préoccupation des humains. Or rien n’est moins sûr. Au temps de Socrate, les Sophistes jouaient déjà allègrement avec l’illusion de la vérité. Cervantès, dans Don Quichotte, décrivait déjà, à travers ses deux héros légendaires, le rapport pour le moins ambigu que nous entretenons avec le réel.
L’ère de la “post-vérité” pourrait de fait avoir débuté au 5e siècle avant JC…

Question de degré, nous objectera-t-on. Les réseaux sociaux avec leur lot de fake news, les deepfakes, les IA génératives n’ont-ils pas bouleversé la donne comme jamais ? Certes. Mais comme le montre l’excellent Tim Harford dans un article paru fin août dans le Financial Times, l’idée d’une désinformation généralisée est manifestement fausse ou, a minima, très largement surestimée. Il donne pour preuve plusieurs expériences menées par des scientifiques qui convergent pour établir un taux de désinformation aux alentours des 6% pour les contenus en ligne. Beaucoup moins que l’apocalypse promise par certains, donc.

Cela ne veut pas dire que la désinformation soit un sujet trivial : 6%, c’est toujours trop ! Et les effets peuvent être délétères. Pour autant, poursuit Harford, la décrire comme un phénomène apocalyptique ne fait que rajouter au problème. D’abord, parce que cela encourage une attitude perverse de cynisme toxique. Un monde où l’on décrète que tout le monde vous ment est un monde où vous pouvez choisir ce que vous voulez croire ou rejeter. Si vous savez que les menteurs sont là, vous serez prudent. En revanche, si vous pensez qu’ils sont partout, à quoi bon s’accrocher à l’idée même de vérité ?

Plusieurs expériences menées par des scientifiques convergent pour établir un taux de désinformation aux alentours des 6% pour les contenus en ligne.

Autre problème souligné par l’auteur : postuler une désinformation générale masque la réalité des problèmes politiques tels qu’ils sont ressentis par les citoyens. Car elle accrédite l’idée que ceux qui votent pour le Brexit ou pour Trump, par exemple, le font nécessairement parce qu’ils ont été égarés par une propagande trompeuse. C’est un bel alibi bien confortable qui nous cache les véritables raisons du vote.

C’est ce que montrait déjà Jean-Noël Kapferer dans Rumeurs (Points Seuil, 1987). Sous les rumeurs, manifestement fausses, que l’on colporte, l’essayiste notait que gisait toujours un ressenti qui lui était réel : la peur de l’autre, du déclassement, du progrès… De la même façon, les fake news (la version 2.0 des rumeurs) fonctionnent aussi comme le faux nez d’un vrai problème. S’attacher à révéler toutes les fake news ne résout pas donc un problème, cela n’en traite que la mousse.

Ceux qui répandent l’idée d’une désinformation généralisée seraient-ils alors désinformés ? Ils peineront à le reconnaître. Car comme on le sait, la désinformation, c’est toujours les autres.

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