Dans les économies développées, la banque centrale est une institution pour laquelle le terme “indépendance” n’est pas anodin. Pour l’observateur non averti, cela peut paraître étrange, car le président ou le gouverneur de la banque centrale est généralement nommé par le pouvoir politique. Pourquoi parle-t-on alors d’indépendance ? En fait, sachant que la banque centrale mène une politique économique cruciale, il n’est pas choquant que le politique ait un droit de regard sur qui la dirige. Par contre, une fois nommés, les dirigeants de la banque centrale doivent exercer en toute indépendance le mandat qui leur est donné. Toute ingérence politique dans la conduite de la politique monétaire pourrait lui faire manquer sa cible (trop ou pas assez d’inflation), mais pourrait surtout ébranler la confiance que les citoyens ont dans la monnaie qu’ils utilisent, ce qui serait bien plus grave.
Jerome (Jay) Powell, l’actuel président de la Fed, est l’illustration parfaite de l’indépendance du banquier central. Il avait en effet été nommé par Donald Trump durant son premier mandat, pour remplacer Janet Yellen dont le mandat prenait fin. Mais une fois en place, Powell a affirmé son indépendance, et s’est bien entendu attiré les foudres de Trump, celui-ci envoyant même en août 2019 ce tweet surréaliste : “Who is our bigger enemy, Jay Powell or Chairman Xi ?” (“Qui est notre plus grand ennemi, Jay Powell ou le président (chinois) Xi ?”). Quelques années plus tard, le voilà donc toujours en place et toujours jugé incompétent par le locataire de la Maison Blanche.
Le président américain a récemment accentué la pression sur le président de la Fed, appelant explicitement à sa démission car il juge la position de l’institution trop restrictive. Le gouvernement américain ne peut révoquer les membres du comité de la Fed que “pour un motif valable”, et un désaccord sur les décisions de politique monétaire ne suffit pas. Il y a quelques jours à peine, Kevin Hassett, un des conseillers économiques de Trump, est revenu à la charge en signalant que des dépassements de budget dans la rénovation du bâtiment de la Fed étaient sous investigation et seraient un motif suffisant pour virer Powell (ce qui est loin d’être clair sur le plan juridique…).
La probabilité que Jay Powell quitte son poste avant la fin de son mandat reste faible. Même si cela devait être le cas, il ne faut pas conclure trop vite que la Fed baisserait ses taux simplement parce que Trump l’ordonne. Ces décisions sont prises non pas par le président de la Fed, mais à la majorité du comité de politique monétaire (FOMC). Néanmoins, en considérant un président inféodé à Trump, ou du moins bien plus accommodant en matière de taux, les conséquences sur les marchés financiers pourraient être brutales.
Le marché obligataire s’interrogera en effet sur les risques liés à l’inflation. Ce marché s’inquiète déjà d’un déficit budgétaire élevé et des pressions sur les prix à la consommation dues aux droits de douane. L’ajout d’une politique monétaire trop accommodante risque de pérenniser l’anticipation d’une inflation plus élevée. Le retrait ou la démission de Powell serait aussi susceptible de déclencher un nouveau cycle de forte volatilité à la baisse du dollar, et les dommages seraient là pour durer. La valeur du dollar en tant que monnaie de réserve repose fondamentalement sur l’indépendance de la Fed. Dès lors, la remettre en cause, c’est un énorme saut dans l’inconnu sur le plan monétaire, contre lequel Jay Powell semble être le dernier rempart.