Philippe Ledent

Qui, de l’offre ou de la demande, mène la danse?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

D’ici 2028, on devrait comptabiliser près de 200.000 nouveaux emplois. Or, la population en âge de travailler ne va, selon les projections démographiques, augmenter que de 4.200 personnes.  

Quelle sera la trajectoire économique de la Belgique pour la prochaine décennie? A priori, les défis qui nous attendent représenteront une source importante d’activité économique: le vieillissement de la population va nécessiter le développement du secteur des loisirs (puisqu’il y aura plus de retraités) mais aussi des soins de santé et de l’accompagnement des personnes très âgées. La lutte contre le changement climatique va nécessiter une forte augmentation des investissements: il faudra isoler les bâtiments, transporter les nouvelles formes d’énergie et malheureusement aussi se prémunir contre les effets inéluctables de ce changement climatique. Bref, il faudra des investissements et des travailleurs pour relever tous ces défis, et donc de l’activité économique, ce qui est plutôt positif.

Malheureusement, il ne faut pas oublier que l’économie, c’est l’étude de la confrontation permanente entre des besoins toujours plus nombreux et la rareté des ressources nécessaires à les satisfaire. En d’autres termes, si la demande est assurée, il n’est pas inutile de regarder du côté de l’offre ce qu’il sera matériellement et financièrement possible de faire.

Objectivement, c’est beaucoup moins positif de ce côté. S’agissant des investissements en équipements, il y a d’abord la contrainte physique liée à la disponibilité des matières premières, des composants ou même des produits finis nécessaires à l’ensemble de ces projets. Ensuite, il y a la question du financement. Peut-on vraiment encore accroître la dépense publique, fût-elle pour les investissements les plus louables, en creusant le déficit et en augmentant la dette? Mais à vrai dire, le même genre de contrainte se pose pour le secteur privé. Des dépenses et des investissements sont certes nécessaires, mais ils ne pourront pas toujours venir en surplus des investissements habituels.

Si la Belgique dispose bien d’un sous-emploi important, encore faut-il casser les faiblesses et les rigidités du passé sur le marché du travail.

Plus pragmatiquement, il faudra faire des choix. Les investissements indispensables pour affronter les défis des prochaines années se feront probablement au détriment d’autres investissements. D’un point de vue macroéconomique, cela veut dire que cette demande importante ne générera pas nécessairement plus d’activité. Il y aura plutôt une substitution d’investissements et, s’agissant des investissements publics, leur effet macroéconomique positif sera en grande partie compensé par l’effet négatif d’une hausse de la taxation afin de les financer.

La disponibilité de main-d’œuvre pourrait aussi représenter une contrainte d’offre dans l’économie. Pour s’en convaincre, prenons par exemple les prévisions à moyen terme du Bureau du Plan publiées récemment. D’ici 2028, on devrait comptabiliser près de 200.000 nouveaux emplois, permettant à l’activité économique de croître de 1,4% par an en moyenne. Or, la population en âge de travailler ne va, selon les projections démographiques, augmenter que de 4.200 personnes. Dès lors, les emplois créés devront l’être d’une part grâce à une augmentation du taux d’activité et d’autre part grâce à une diminution du chômage.

Mis à part le retard de l’âge légal de la pension à 66 ans à partir de 2025, quelle(s) mesure(s) existantes sont susceptibles d’augmenter le taux d’activité et d’améliorer l’adéquation entre les qualifications des demandeurs d’emploi et les offres d’emploi vacantes? C’est un mystère. Autrement dit, si la Belgique dispose bien d’un sous-emploi important, encore faut-il casser les faiblesses et les rigidités du passé sur le marché du travail. Dans le cas contraire, l’offre de main-d’œuvre représentera une autre contrainte forte à la réalisation des défis qui nous attendent. Bref, au-delà des rêves de dépenses et d’investissements, l’offre risque sans cesse de nous ramener à la réalité.

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