L’IA bouleverse les fondements de l’université : formations, évaluations, infrastructures… Tout est remis en question. Et si le véritable enjeu n’était pas la disparition, mais la transformation de l’enseignement?
Il y a des institutions qu’on croit éternelles. L’université en fait partie. Elle semble figée dans le marbre, avec ses grandes bibliothèques et ses auditoires en bois, … Bref, un monde organisé pour durer. Mais récemment encore, j’en parlais avec un très haut dirigeant d’une grande université belge : selon lui, depuis quelques mois, une petite révolution silencieuse est en train de bousculer ce bel échafaudage. Son nom ? L’intelligence artificielle. Et derrière ce mot, une foule de réalités qu’on n’a pas encore osé regarder en face.
Traduire en quelques secondes
Prenez un cas très concret : la traduction. Il y a encore dix ans, c’était une spécialité noble. Il fallait cinq années d’étude, une grande rigueur grammaticale, une finesse culturelle… Aujourd’hui ? Une IA gratuite, comme DeepL ou ChatGPT, vous produit une traduction en quelques secondes. Fluide, propre, compréhensible. Est-ce parfait ? Non. Mais dans 90 % des cas, on ne demande pas à la machine d’écrire de la poésie ou de saisir l’ironie ou un double sens. On veut juste une traduction correcte, fluide, rapide. Et l’IA y arrive. Mieux : elle s’améliore chaque semaine.
Et voilà la question que tout le monde évite, la question taboue : faut-il encore former des traducteurs comme avant ? Ou faut-il désormais former des professionnels de la traduction… augmentée ? Des gens capables de collaborer avec les machines, de les corriger, de les entraîner, de les utiliser intelligemment. C’est le premier petit pan de mur qui craque. Mais il y en a bien d’autres pour d’autres formations.
Tricher ou évaluer autrement ?
Deuxième point de tension : les examens. Aujourd’hui, n’importe quel étudiant un peu débrouillard peut copier-coller son énoncé dans un chatbot et obtenir un devoir prêt à rendre. Bien sûr, on peut essayer de détecter la fraude à l’IA. Il existe des logiciels pour ça. Mais soyons sérieux : la fraude à l’IA aura toujours un train d’avance.
Alors que faire ? Revenir aux examens oraux ? Très bien, me disait encore ce haut dirigeant d’université. Sauf que dans un auditoire de 500 ou 800 étudiants, interroger tout le monde de vive voix pour vérifier s’ils comprennent ce qu’a écrit ChatGPT à leur place, même 10 minutes chacun, devient un cauchemar logistique. Alors, certains parlent de revenir aux QCM (questions à choix multiples). D’accord. Mais avec des QCM, on évalue surtout la mémoire… et moins l’intelligence.
Une infrastructure devenue obsolète ?
Et puis il y a les infrastructures. Les grands auditoires, les amphithéâtres, les campus flambants neufs, les bancs en escalier. Tout un imaginaire. Mais on commence à se demander : à quoi bon toute cette infrastructure ? Quand les étudiants préfèrent apprendre en ligne, sur leur smartphone, dans leur chambre… ou avec un assistant IA, disponible 24/7, et, cerise sur le gâteau, répond sans juger et surtout… sans râler ?
Au final, il y a une vérité que beaucoup d’universités n’osent pas affronter : l’IA ne rend pas l’enseignement obsolète, mais elle rend obsolètes une bonne partie de son infrastructure, de ses méthodes et de ses routines.
En réalité, ce que l’intelligence artificielle fait aujourd’hui à l’université, c’est comme une IRM appliquée au système. Elle révèle les failles qu’on ne voulait pas voir. Des cours parfois trop théoriques. Des évaluations parfois déconnectées. Et une croyance un peu naïve que le diplôme garantit le savoir.
Je vous rassure, tout n’est pas perdu. L’université n’est pas destinée à disparaître comme la société Kodak qui avait raté à son époque le virage de l’argentique vers le numérique.
Ce que l’IA ne remplacera jamais
Car l’IA ne remplace pas l’essentiel. Elle ne remplace pas l’échange, le doute, le sens critique, la capacité à articuler une pensée. Elle ne remplace pas un professeur qui inspire, qui fait réfléchir, qui déstabilise aussi. Mais pour que cela reste vrai, il faut que le rôle du professeur évolue. Moins dans la transmission, plus dans l’accompagnement, la vérification, la mise en perspective.
Et il faut aussi que l’université, dans son ensemble, se pose une question honnête : à quoi servons-nous encore, dans un monde où la connaissance brute est accessible à tous, gratuitement, à tout moment ? Parce que si elle ne se la pose pas, d’autres le feront à sa place. Des entreprises, des plateformes, des intelligences artificielles qui, elles, avancent sans nostalgie. Alors oui, l’université est toujours précieuse. Mais à condition de ne pas devenir une cathédrale vide. À condition d’oser se réinventer. Et vite.