Bruno Colmant
Quelques réflexions sur le néolibéralisme
Le néolibéralisme, c’est le libéralisme « d’après ». C’est une réhabilitation de ce qu’on appelait les « économistes classiques », de la fin du XVIIIᵉ au début du XIXᵉ, qui considéraient que l’État devait rester à l’écart de la création économique et qu’il fallait absolument développer la théorie de l’offre, c’est-à-dire stimuler la production qui entraînait naturellement sa propre demande par les revenus qu’elle contribue à générer.
Ce courant de pensée a évolué depuis deux siècles et a été bien sûr mis en joue par Marx à la fin du XIXᵉ siècle et surtout par John Maynard Keynes au XXᵉ siècle dont les théories ont accompagné la fin des années 1930 jusqu’aux années 1970, c’est-à-dire de la Grande Dépression à la reconstruction d’après-guerre.
Le néolibéralisme trouve ses racines dans une opposition farouche à John Maynard Keynes. C’est ce qu’on appelle la Société du Mont-Pèlerin, créée en 1947, dont Friedrich Hayek et Milton Friedman étaient membres. Ils ont tous deux reçu le prix Nobel d’économie, respectivement en 1974 et 1976. Cette réhabilitation du libéralisme a été, entre autres, déclenchée par le fait qu’il y a eu dans les années 1970 une coïncidence de chômage et d’inflation, ce qui était incompatible avec la théorie keynésienne qu’on a alors rejetée. On parlait de « stagflation » à l’époque.
C’est l’inflation des années 1970 qui a conduit à la nécessité de réhabiliter le capital, dont le pouvoir d’achat avait été érodé par l’inflation. Le néolibéralisme s’est imposé avec l’idée de dérégulation, mais surtout, avec la conviction que l’économie de marché était plus efficace qu’une économie en partenariat avec l’État. L’économie de marché néolibérale, d’origine lointainement calviniste et qu’on qualifier de productiviste et d’utilitariste, est fondée sur le postulat que tout facteur de production est assimilable à une valeur mobilière négociée sur un marché. Sur ce marché, les protagonistes, les acheteurs et les vendeurs, évaluent en permanence l’utilité future. Dans l’économie de marché, tous les facteurs de production doivent être fragmentés, tout se compose, se décompose et se recompose au gré de l’évolution économique et toutes les couches sociales, réglementaires ou de concertation intermédiaire doivent être démantelées pour obtenir un marché le plus pur possible en termes de reconfiguration des facteurs de production. Le problème, c’est que lorsqu’on entre dans une économie de marché néolibérale où la valeur de tout se mesure non pas par le coût de production passé, mais par l’utilité future anticipée, on aspire les volatilités du futur, ce qui conduit en fait à des crises perpétuelles.
Il y a quarante ans, l’Occident a donc pénétré dans un contexte d’économie de marché anglo-saxonne qui nous a apporté croissance, prospérité et innovation. Cette configuration politique a progressivement enveloppé le globe, alors que ses deux contre-modèles – le marxisme-léninisme et le maoïsme – s’effondraient. Cette immersion dans le néolibéralisme n’a pas été le reflet d’un effet de mode. Elle a découlé d’une réaction et d’une contestation grandissantes d’États jugés trop gros, inefficaces, bureaucratiques, envahissants et tatillons.
L’émergence du néolibéralisme coïncide, en effet, avec l’orientation politique menée par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et Ronald Reagan aux États-Unis. Ceux-ci ont répondu au désastre économique qui a confronté le monde occidental dans les années 1970, caractérisé par une vague d’inflation et un chômage structurel massif. Cette inflation n’était pas une coïncidence historique, mais la conséquence directe de l’abandon par les États-Unis, en 1971, des accords de Bretton Woods. Ces accords, négociés en juillet 1944, avaient imposé un étalon-or qui conduisait à la stabilité des taux de change. Le néolibéralisme est donc né du désordre monétaire, c’est-à-dire de l’inflation démesurée, des années 1970. Suivant la pensée de Milton Friedman, qui affirmait que la monnaie était neutre et que l’inflation n’avait pu être créée que par un interventionnisme excessif de l’État (en l’occurrence, les accords monétaires de Bretton Woods liant les différentes devises occidentales avant la décision américaine de 1971), il a été convenu qu’il fallait désormais limiter l’interférence de l’État dans la sphère économique pour combattre l’inflation. Milton Friedman était fermement opposé à l’étalon-or.
Le néolibéralisme a également coïncidé avec un changement structurel des relations entre le capital et le travail. Dans les années 1980, contrairement à l’économie de pénurie relative qui l’avait précédée, la rareté s’est déplacée vers la demande de biens et services dans un contexte de mondialisation progressive, privant progressivement les travailleurs d’un partage équitable des gains de productivité.
C’est la fameuse main invisible, qui est une théorie selon laquelle l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques, guidées par l’intérêt personnel de chacun contribuent à la richesse et au bien commun, d’Adam Smith, oui, qui est tellement invisible qu’on ne l’a pas beaucoup vue.
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