Philippe Ledent

Quand Sahm fait trembler l’oncle Sam

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

L’été est traditionnellement une période de plus grande volatilité sur les marchés financiers. C’est notamment dû au plus faible volume de transactions (on parle de moindre liquidité du marché). Mais cela ne veut pas nécessairement dire que l’été est propice à des corrections boursières. Pour qu’il y ait correction, crash ou panique sur les marchés, une faible liquidité ne suffit pas. Il faut au moins deux éléments supplémentaires. D’une part, un contexte économique et/ou politique plus fragile et d’autre part, une étincelle : une nouvelle économique ou un événement particulier qui retourne brutalement le sentiment des investisseurs. 

Le premier élément n’est pas trop compliqué à identifier. Il suffit de suivre de près l’actualité géopolitique et la publication des indicateurs économiques. Or, on sait que depuis juin, on assiste à un assombrissement des indicateurs économiques. S’agissant des Etats-Unis, les investisseurs ont en fait excusé beaucoup de moins bonnes nouvelles depuis le début de l’année, sous prétexte que le marché du travail restait solide. Mais si l’on regarde l’ensemble des indicateurs, il est clair que l’économie américaine approche le sommet de son cycle depuis le début de l’année. Quant au contexte politique, c’est inutile de rappeler à quel point il est tendu en ce moment. Dès lors, on assistait de plus en plus à une divergence entre un contexte économique plus difficile et des performances boursières brillantes : l’indice boursier mondial avait progressé de pas moins de 17% depuis le début de l’année. 

La correction était-elle inéluctable ? Pas nécessairement, et ce serait trop facile d’affirmer ex post qu’une correction boursière était prévue. Car comme indiqué, il faut aussi une étincelle. Et malheureusement, il n’y a pas de règle en la matière. Plus d’une fois, on a assisté à des événements qui auraient pu constituer l’étincelle parfaite, mais qui ont laissé les marchés de marbre. Bref, si le contexte est prévisible, l’étincelle est presque toujours surprenante. 

Cette fois, la publication du rapport sur l’emploi américain en juillet a mis le feu aux poudres. En soi, il n’est pas si terrible que cela. L’économie américaine continue de créer des emplois et le taux de chômage reste très bas. Mais voilà, les créations d’emplois sont beaucoup moins nombreuses qu’au cours des mois précédents, et le taux de chômage est en hausse, au point qu’il a sonné l’alarme de la Sahm Rule ! 

Si le contexte est prévisible, l’étincelle est presque toujours surprenante.

Claudia Sahm est une économiste américaine ayant travaillé pour la Fed. Elle est aussi membre du NBER. Elle a développé une règle assez simple pour identifier ex post les récessions. Cette règle, publiée en 2019, porte son nom et a soudainement été mise sous le feu des projecteurs depuis le début de cette année. La Sahm Rule indique que lorsque la moyenne des trois derniers mois du taux de chômage augmente de plus de 0,5 point de pour cent par rapport à son point le plus bas des 12 derniers mois, l’économie américaine peut être considérée en début de récession. Or, en juillet, la moyenne sur les trois derniers mois était de…. 0,53 point au-dessus de son point le plus bas des 12 mois précédents. La Sahm Rule a alors constitué l’étincelle faisant douter les marchés. 

La “Sahm Rule” fait partie de ces règles purement fondées sur les données passées. Des changements structurels dans l’économie peuvent donc la mettre en défaut. Mais voilà, les marchés adorent les balises simples. Pendant des mois, ils ont ignoré le ralentissement des indicateurs, mais soudainement leur conviction est qu’une récession est imminente, ce qui est probablement exagéré. La finance a souvent ses raisons que la raison ignore…

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