Il fut un temps où l’on disait : nul n’est censé ignorer la loi. Aujourd’hui, on pourrait dire : nul n’échappera à l’algorithme. Car sous couvert de traquer la fraude, l’État belge est en train d’installer une mécanique autrement plus redoutable : un système de présomption généralisée, automatisée, silencieuse. Et, disons-le franchement, profondément inquiétante.
Le projet du gouvernement De Wever pourtant supposé être libéral ? Transformer le registre des comptes bancaires de la Banque nationale – le Point de contact central – en machine à soupçons. En temps normal, ce fichier est sacré : on ne peut y accéder que si le fisc a déjà un soupçon de fraude. Mais là, changement de décor : on veut y envoyer des “dataminers “ pour chercher… des profils suspects. En clair : on retourne la logique. Ce ne sont plus les indices qui mènent à la base de données, c’est la base de données qui fabrique les indices.
Et qui proteste selon mes confrères de l’ECHO ? L’Autorité de protection des données (APD). Elle hurle, mais dans le désert. Son avis n’est que consultatif. Le gouvernement peut l’ignorer. Et il le fera peut-être. Comme on passe un feu orange foncé un soir de pluie, l’air de rien.
Mais cette légèreté est dangereuse. Très dangereuse. Car c’est un précédent majeur : l’État qui s’autorise à fouiller vos comptes sans raison préalable, en espérant y trouver quelque chose. C’est la fin d’un principe fondamental : ce n’est plus l’administration qui doit prouver la fraude, c’est le citoyen qui devra prouver sa probité, après avoir été pointé du doigt par un logiciel.
Et ce n’est pas la première fois que l’État prend des raccourcis douteux. Vous vous souvenez du blanchiment d’argent ? Comme il ne parvenait pas à tout contrôler, il a refilé la patate chaude à d’autres : banquiers, notaires, comptables, agents immobiliers… Tous sommés de devenir les petites mains de la surveillance fiscale. Pire : de dénoncer, souvent en silence, leurs propres clients. Résultat : ces professions libérales, pourtant tenues au secret, ont été transformées en auxiliaires du fisc, en délateurs institutionnels.
Mais au moins, c’étaient encore des humains.
Aujourd’hui, ce sont les machines qui prennent le relais. Des algorithmes qui flairent le “risque”. Des données dites “anonymes” qui ne le restent que jusqu’au moment où le fisc décide de les recouper. Et à la fin, c’est toujours le même scénario : l’innocent devient suspect, le contribuable devient cible, et la présomption d’innocence devient une formalité embarrassante.
Le gouvernement nous dit : c’est pour lutter contre la fraude. Oui, d’accord. Mais à quel prix ? Si demain, chaque citoyen devient une donnée à profiler, si chaque mouvement de compte peut vous placer sous algorithme, alors ce n’est plus un État fiscal, c’est un État paranoïaque.
Un État qui ne croit plus en ses citoyens, mais qui leur court après, guidé par des machines.
Et cela, qu’on le veuille ou non, c’est une régression. Une dérive. Un scandale politique aussi feutré qu’efficace.
Alors, on attend quoi pour le dire ? A ce stade, le PCC ou point de contact central risque d’être rebaptisé en Parti Communiste Chinois !