Philippe Ledent

Quand l’économie devient trop politique

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Y a-t-il une stratégie derrière les décisions de Donald Trump ? C’est une question fondamentale pour tenter de comprendre le chaos actuel. Le côté grotesque de certaines décisions laisserait entendre qu’il ne faut pas chercher trop loin, et que les décisions du président sont plus intuitives que calculées. Mais on pourrait rétorquer qu’il est entouré de conseillers économiques au CV impressionnant.

Stephen Miran, le président des conseillers économiques de Trump, est diplômé de l’université de Boston et a obtenu son doctorat à Harvard, où il a travaillé avec Martin Feldstein qui est loin d’être inconnu. Peter Navarro, fervent défenseur des droits de douanes, est certes controversé, mais il est professeur à l’université de Californie (Irvine), a également obtenu son doctorat à Harvard et est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’économie. Cela laisse penser qu’il y a une stratégie et qu’elle doit avoir des fondements solides au regard de l’envergure des économistes qui soutiennent les décisions du président.

Remarquez qu’une telle situation n’est pas neuve. Revenons par exemple en France, en juin 2024, après la dissolution. Le programme du Nouveau Front Populaire nouvellement formé prévoyait un blocage massif des prix des biens de première nécessité, une augmentation forte du SMIC, un retour du départ à la retraite à 60 ans, un encadrement des loyers ou encore des changements profonds dans la gouvernance des entreprises, voire des nationalisations. De l’avis général, ce programme était tellement radical qu’il aurait entraîné une fuite des capitaux et rendait les finances publiques insoutenables. Cela a d’ailleurs coûté quelques tensions sur le marché obligataire de la France. Pourtant, ce programme était inspiré et soutenu par des économistes très connus.

En fait, la bonne question à se poser n’est pas de savoir si les économistes qui soutiennent de telles décisions ou propositions ont un CV suffisamment solide, mais de savoir s’ils font vraiment de l’économie ou s’ils inféodent leurs compétences à une idéologie. Dans ce cas, ils font avant tout de la politique, en se servant de leurs connaissances et de leur aura pour servir la cause à laquelle ils adhèrent. Leurs connaissances et compétences leur permettent de formuler un argumentaire qui paraît logique et solide. Mais bien sûr, ils omettent de préciser les hypothèses qu’ils prennent et les résultats qui ne les arrangent pas.

La bonne question à se poser est de savoir si les économistes inféodent leurs compétences à une idéologie.

De plus, il y a très souvent, dans leur schéma de pensée, l’acceptation d’une certaine peine imposée à l’économie pour atteindre leur idéal. Les troubles que leurs propositions peuvent causer à l’économie, de même que les dommages irréversibles qu’elles peuvent entraîner, sont des dommages collatéraux inévitables mais finalement acceptables à leurs yeux au regard de l’enjeu. Bien sûr, c’est plus facile à écrire dans un article ou un livre que de l’expliquer aux personnes qui perdront leur emploi, une partie de leur épargne ou le bénéfice d’interventions publiques.

Soyons clairs, aucune analyse économique n’est totalement neutre. Mais il faut, dans toute la mesure du possible, que les rôles ne soient pas mélangés. L’analyse économique doit avant tout évaluer des mesures, des propositions, au regard de l’efficience économique et de l’équité. La responsabilité politique consiste ensuite à faire des choix, au regard de l’analyse économique et d’autres critères que le politique juge nécessaire. Mais quand l’analyse économique sert uniquement une cause politique, elle ne vaut plus grand chose, et ce quelle que soit la qualité de l’économiste qui l’a menée.

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