Paul Vacca
Pourquoi il faut regarder des comédies romantiques
A cette période de l’année, impossible d’y échapper. Elles débarquent en escadrons, prennent d’assaut tous les écrans via les chaînes hertziennes, les coffrets de DVD ou les plateformes de streaming : ce sont les fameuses comédies de Noël alias les hallmark movies, du nom de la marque de cartes de vœux colorées qui inspirent jusqu’à l’esthétique kitsch de ces films. C’est aussi, plus largement, la période de (re)diffusion de ce que les spécialistes désignent sous le nom de rom coms (de la contraction de romantic comedy) et qui, elles aussi, inscrivent souvent leur climax sentimental lors des fêtes dans un effet de synchronisme parfait avec le spectateur.
Un ouvrage est justement sorti le mois dernier rendant hommage à ce genre souvent regardé comme un plaisir coupable, avec condescendance et auquel on cède toute honte bue. Les Comédies romantiques (Hoëbeke), signé par Marianne Levy, amatrice et fine experte en rom com, est une encyclopédie abondamment illustrée qui nous emmène avec son érudition joyeuse dans les rouages de la fabrication de ce type de films. L’autrice, également romancière et scénariste, en maîtrise parfaitement les ressorts. A travers de nombreux exemples, elle décrypte et illustre les neuf étapes clés comme autant de figures imposées: du “premier regard” au “happy ending” en passant par la “rivalité”, la “rupture” ou le “plan”.
Une chose est sûre, si Harry avait échangé avec Sally sur X, ils ne se seraient certainement pas rencontrés.
Bref, les passages obligés pour ne pas dire les clichés. Car oui, c’est une évidence, la comédie est un genre ultra-codifié dont la recette est immuable depuis ses origines : deux personnes qui n’ont absolument rien à faire ensemble et qui finiront par s’embrasser avant le générique de fin. Pour la surprise, on repassera !
Pourtant, cette immuable prévisibilité, c’est paradoxalement ce qui fait la grandeur de la rom com. A son meilleur, elle est le résultat d’une miraculeuse opération alchimique : transformer en or émotionnel le plomb des clichés. Ce à quoi s’emploient les magiciens de ce que Marianne Levy appelle joliment la “connectique amoureuse” : depuis la screwball comedy née au plus noir de la Grande Dépression qui en fixèrent l’ADN avec L’Impossible Monsieur Bébé, Indiscrétions jusqu’à La La Land, en passant par Quand Harry rencontre Sally, Pas si simple, 4 Mariages et un enterrement, L’Arnacœur, Hitch, etc.
Le miracle de la “rom com” est assez comparable à celui du bourgogne qui, à partir d’un seul et unique cépage – le pinot noir –, parvient à produire toute la variété des appellations bourguignonnes de la plus modeste jusqu’à la mythique Romanée-Conti. De même la rom com avec ses contraintes peut livrer des hallmark movies à la chaîne comme donner le jour au mythique Un jour sans fin au scénario virtuose avec ses effets de loop temporel vertigineux.
La comédie romantique cristallise au plus haut point l’enjeu de toute fiction qui est de réussir l’exploit de surprendre précisément avec ce que l’on attend ! Or, en feuilletant ce livre enchanté, on découvre une autre vertu aux rom coms : la raison pour laquelle tout le monde devrait non seulement en regarder mais aussi s’en inspirer. Car celles-ci nous montrent, parfois jusqu’à la béatitude, que le cheminement de ses héros vers l’autre se fait au prix d’un sacrifice d’une part de soi : l’abandon de ses préjugés et de ses habitudes de penser. A l’ère lisse et chaotique de l’algorithme et de la polarisation, la rom com incarne un art de vie qui semble perdu : un éloge de la différence et de son dépassement. Car une chose est sûre, si Harry avait échangé avec Sally sur X, ils ne se seraient certainement pas rencontrés. Et Juliette n’aurait évidemment jamais swipé à droite ce troll de Roméo sur Tinder.
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