Philippe Ledent
Pour une vraie culture de l’évaluation
Pour conduire de bonnes politiques économiques, il faut pouvoir les évaluer, pour les adapter quand il le faut, les renforcer quand elles s’avèrent efficaces et les supprimer lorsqu’elles sont inutiles. La Belgique ne brille certainement pas par la quantité d’évaluations de politiques qui y sont menées. Les institutions existent bel et bien, mais les données manquent trop souvent, et la volonté politique d’évaluer ce qui a été fait n’est pas assez présente.
Cela donne des situations fondamentalement inefficientes. A ce jour, de nombreuses mesures de politiques économiques prises par le passé sont probablement inefficaces. Les réorienter ou les supprimer n’aurait qu’un coût limité pour l’économie mais permettrait probablement d’assainir les finances publiques. Mais voilà, faute de données, faute de volonté, on ne sait pas… L’initiative prise par le monde politique de faire évaluer par le Bureau du Plan les programmes électoraux doit donc être saluée. C’est, en théorie du moins, un gage de transparence et une objectivation de l’impact des mesures proposées.
Une culture de l’évaluation est essentielle, vu les défis à relever en matière de finances publiques.
Pourtant, les résultats de l’exercice me laissent un sentiment très mitigé. Les travaux du Bureau du Plan ne sont pas en cause. Ce sont les meilleurs modèles représentant l’économie belge, et un réel effort de présentation des résultats a été effectué. Mais le processus d’évaluation lui-même est davantage en cause. Concrètement, il laisse trop de liberté aux partis politiques. Ceux-ci peuvent sélectionner les mesures qu’ils soumettent à l’évaluation (certes, encadrées dans huit domaines différents), mais sont aussi impliqués dans les discussions d’évaluation en cours de route. Bref, en connaissant le fonctionnement de base des modèles, une sélection stratégique des mesures soumises à l’évaluation fournira à chaque parti des résultats propices à leur campagne. Au final d’ailleurs, il n’y a pas de réelle surprise dans les résultats : personne ne s’intéresse vraiment à l’assainissement des finances publiques et chaque parti trouve son bonheur dans les résultats. Tout le monde a gagné !
Par ailleurs, l’examen de plus de 300 mesures donne des résultats trop lourds, trop techniques et finalement incompréhensibles pour la plupart des gens, qui s’en tiendront aux quelques articles dans les journaux ou à la communication des partis politiques. D’autant plus que le diable est dans les détails : les limites des modèles, leurs calibrages, les hypothèses prises en matière d’effets induits, etc. L’exercice est une mine d’or pour un cours d’évaluation des politiques publiques, mais pour le citoyen moyen non averti des matières économiques, comment s’y retrouver ?
Alors, comment réconcilier la volonté d’une évaluation objective des idées des partis politiques et la clarté des résultats nécessaire pour susciter l’intérêt du grand public ? Tout d’abord, il serait bon de réduire la latitude donnée aux partis dans la sélection des mesures. On pourrait au contraire contraindre la mesure, mais laisser aux partis le soin d’en définir le calibrage. On pourrait par exemple leur demander de fournir leurs tranches idéales d’imposition (barèmes et taux). Ou leur profil d’allocation de chômage souhaité (pourcentage de compensation, limites, durée, etc.). Ainsi, en utilisant le même modèle pour simuler le même type de mesure (mais différente d’un parti à l’autre), les résultats seraient probablement beaucoup plus clairs. Imposer une neutralité budgétaire de toute mesure serait aussi intéressant, même si on sait que pour certains partis, la question des finances publiques est secondaire.
Malgré les résultats trop flous, espérons au moins que l’exercice donne l’envie aux citoyens de s’intéresser à l’évaluation des politiques qui sont menées, car une culture de l’évaluation est essentielle, vu les défis à relever en matière de finances publiques.
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