Philippe Ledent
Politique monétaire: conviction ou subtil coup de bluff?
Si la politique monétaire est une affaire complexe, en décrypter la communication l’est tout autant.
La politique monétaire reste un sujet de recherche formidable, représentant toute la richesse et la complexité des sciences économiques. D’un côté, il y a les théories et les modèles. Mais de l’autre, il y a la confrontation à la réalité et la difficulté à implémenter les résultats théoriques en tenant compte de la rationalité parfois très relative des agents économiques et des marchés financiers.
Par ailleurs, comme j’ai pu l’évoquer précédemment, cette complexité est décuplée lorsque les chocs sont importants et on sait que le choc inflationniste auquel nous avons été confrontés depuis fin 2022 l’a été.
La communication tant de la Fed que de la BCE a été surprenante.
Maintenant que l’inflation diminue tant aux Etats-Unis qu’en zone euro, les réunions de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de la Banque centrale européenne (BCE) n’en sont donc que plus passionnantes. D’un côté, l’intuition nous dirait que les banques centrales peuvent en finir avec leurs hausses de taux. Mais d’un autre côté, le choc des prix des matières premières, de l’énergie et des coûts salariaux pourrait à tout moment générer de nouvelles pressions inflationnistes. Les banques centrales doivent donc rester sur leurs gardes.
C’est peut-être ce qui explique pourquoi la communication, tant de la Fed que de la BCE qui tenaient chacune leur réunion de politique monétaire les 14 et 15 juin dernier, a été surprenante. Du côté de la Fed, tout est fait pour démontrer qu’il ne s’agit que d’une pause avant de nouvelles hausses de taux.
Du côté de la BCE, on ne montre pas le moindre signe d’une fin prochaine de l’impressionnante succession de hausses de taux depuis juillet 2022 malgré le fait que (i) l’inflation ET l’inflation sous-jacente sont à présent en baisse, (ii) que les prix à la production ne progressent plus que faiblement et (iii) que les enquêtes auprès des entreprises traduisent une volonté de celles-ci d’augmenter leurs prix bien moindre qu’il y a quelques mois.
De surcroît, les hausses de taux passées ont un impact de plus en négatif sur l’économie, notamment au travers des demandes de crédits en forte baisse. Bref, tout indique que les politiques monétaires restrictives fonctionnent.
Alors, pourquoi cette volonté inexorable d’en faire plus? Il faut dire que les banques centrales ont une appréciation optimiste de l’évolution économique, tant aux Etats-Unis qu’en zone euro. Les nouvelles projections du staff de la BCE, par exemple, font état d’une croissance économique attendue de 0,9% cette année et de 1,5% en 2024. Dans le cas de la Belgique, la BNB annonce une croissance de respectivement 1,4% et 1,3%. Ce n’est pas un boom économique mais cela reste en ligne avec la croissance potentielle de l’économie belge. Cela permettrait aussi de créer plus de 50.000 emplois cette année et plus de 40.000 l’année prochaine.
Le risque de nouvelles tensions inflationnistes est réel.
Or, si malgré une politique monétaire déjà restrictive, l’économie ne se porte pas mal, le risque de nouvelles tensions inflationnistes est réel, ce qui nécessiterait effectivement de durcir encore la politique monétaire.
Ou bien, tout cela n’est que du bluff… Les banques centrales considèrent peut-être effectivement qu’elles sont arrivées ou qu’elles sont très proches du sommet de leurs taux. Mais si elles devaient le dire publiquement, cela pousserait rapidement les taux longs à la baisse, rendrait leur politique monétaire implicitement moins restrictives et risquerait effectivement de faire repartir l’inflation à la hausse.
Dans ce contexte, elles préfèrent maintenir la pression sur les marchés pour que les taux longs ne plient pas. Mais en fait, elles en feront moins qu’elles ne l’annoncent…Bref, si la politique monétaire est une affaire complexe, en décrypter la communication l’est tout autant.
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