Amid Faljaoui

Plan de paix pour l’Ukraine ou gifle pour l’Europe ?

Une chronique d’Amid Faljaoui.

Aujourd’hui, on découvre quelque chose qui ressemble à un mauvais scénario politique, sauf que tout est vrai. Au cours du weekend dernier, on a appris qu’un plan de paix en vingt-huit points pour l’Ukraine avait été négocié… non pas à Bruxelles, à Paris ou Berlin, ni même à Washington, mais à Miami, entre un promoteur immobilier proche de Trump et un représentant officieux du Kremlin. Et ce qui est encore plus troublant, c’est que l’Ukraine n’était pas dans la pièce. L’Europe non plus. Et même une partie de l’administration américaine a découvert l’existence du plan après coup. C’est un peu comme si on vous annonçait la vente de votre maison alors que vous n’avez jamais mis le panneau “à vendre”.

Dans le détail, ce document n’a rien d’un accord équilibré. C’est une sorte de wishliste russe où l’Ukraine devrait renoncer à des territoires, réduire son armée, abandonner l’OTAN et accepter une neutralité durable. Mais le passage le plus explosif, même si on n’en parle pas assez, c’est la proposition de réchauffer les liens économiques entre Washington et Moscou. Parce que là, le message pour l’Europe est très clair : vous avez payé la facture énergétique, vous avez absorbé les sanctions, vous avez subi les fermetures d’usines et les factures de gaz décuplées… et au moment où l’addition commence à peser sérieusement sur votre industrie, les États-Unis pourraient, eux, rouvrir la porte à la Russie. Évidemment, ça fait doucement grincer les dents en Europe.

Alors, oui, nous autres européens avons préparé une contre-proposition, on occupe le terrain, mais soyons honnêtes : l’Europe n’a rien vu venir parce qu’elle n’est plus dans la pièce où se prennent les décisions. C’est ça la vraie information de ces derniers jours. L’Europe s’agite, mais elle ne dirige rien. Le pouvoir, aujourd’hui, est entre les mains de Washington et de Moscou, et les Européens commentent un match qu’ils ne jouent plus.

Pendant ce temps, la situation de l’Ukraine, derrière les discours officiels, devient critique. L’armée manque d’hommes, les désertions augmentent, l’économie tient uniquement grâce aux transferts occidentaux, et la démographie locale s’effondre. On parle d’un pays qui se vide littéralement. Et c’est dans ce contexte-là que la Russie avance ses pions, en se disant que le temps travaille pour elle. Pourquoi ferait-elle des concessions quand l’Occident montre des signes évidents de fatigue stratégique ?

À Washington, la politique intérieure joue un rôle énorme. JD Vance veut se désengager, Marco Rubio tente d’éviter un désastre diplomatique, et Donald Trump cherche surtout un moment de communication, une victoire rapide à montrer à son électorat. Pour lui, la paix en Ukraine n’est pas un objectif moral, c’est une transaction comme une autre. Ce qu’il veut, c’est une photo, une signature, un récit simple pour la campagne. Et quand un dossier devient un outil politique, il peut basculer très vite.

Et c’est là que les entreprises européennes doivent ouvrir grand les yeux. Beaucoup espèrent qu’un accord, même imparfait, stabilisera les marchés. En réalité, ce type d’accord créerait exactement l’inverse : une instabilité prolongée, un flou permanent sur les sanctions, sur le gaz, sur les chaînes d’approvisionnement. On entrerait dans une zone où les prix de l’énergie seraient plus imprévisibles, où les investisseurs se tourneraient davantage vers le dollar, et où l’euro paierait le prix d’une Europe perçue comme stratégiquement dépendante.

Alors oui, la question n’est pas seulement géopolitique. Elle est directement économique. Elle touche nos entreprises, nos factures, nos investissements, et même la compétitivité de notre continent. La vraie question, finalement, n’est pas de savoir si le plan Witkoff est bon ou mauvais pour Kiev. La vraie question est de savoir ce qu’il dit de nous. Et ce qu’il dit, c’est que l’Europe ne décide plus des choses qui la concernent le plus. Elle réagit. Elle s’adapte. Elle subit.

Et c’est peut-être ça, au fond, le tournant de cette guerre : la découverte que l’avenir de la sécurité européenne – et donc de notre économie – se négocie non pas à Bruxelles, Paris, Berlin, mais… à Miami.

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