Paul Vacca
Plaisirs de lire, modes d’emploi
Première résolution de 2024 : ne pas céder à la foire aux bonnes résolutions. Comme on le sait, celles-ci ne servent souvent à rien. Et seraient même contreproductives si l’on en croit certains psychologues. Contre-performatives même, devrait-on dire, puisque le fait même de les énoncer serait précisément ce qui en empêcherait leur réalisation. Inutile donc de se faire la belle promesse d’éteindre nos écrans en 2024.
En revanche, rien ne nous interdit de souhaiter rallumer la flamme qui vit au cœur des livres. Mais comment ranimer le désir pour les écrits face aux chatoiements omniprésents des écrans ? Clémentine Beauvais, jeune autrice, traductrice et enseignante chercheuse, le réussit parfaitement dans un texte pétillant, acéré, brillant et brûlant publié en ce début d’année dans la collection ALT des éditions de La Martinière. Intitulé Comment jouir de la lecture ?, ce court essai est un manuel de jouissance littéraire parfaitement réjouissant. A ranger au côté de Comme un roman, de Daniel Pennac, tant il en partage l’espièglerie et le charme.
Clémentine Beauvais s’affranchit avec bonheur du discours légitimiste (“ Le discours réac ”), qui voudrait que le seul véritable plaisir littéraire prenne vie à la source des bons livres élus et dans une certaine souffrance (une sélection qu’elle qualifie avec humour de ” parfaitement Homère-Dante ”). Mais elle prend tout autant ses distances avec le discours inverse, (“ Le discours de la lecture plaisir ”) prétendument progressiste qui postule au contraire que peu importe le flacon pourvu qu’on ait le plaisir. Une règle magnifique en théorie mais qui se heurte en pratique à la réalité de ce que sont nos choix. Est-ce avoir le choix que de choisir entre 10.000 livres similaires ?
Entre ces deux écueils, Clémentine Beauvais préfère nous ouvrir aux innombrables plaisirs que la lecture est à même d’offrir. Elle nous parle entre autres de passion expurgatoire, de délice addictif, de transports échappatoires, d’aspirations fantasmatiques, de soulagement identificatoire, de plénitude existentielle, de fusion terrestre, de galvanisation politique, d’extase linguistique, de bien-être réconfortant, d’appétit encyclopédique, de fièvre investigatrice, de chatouillis intertextuel, d’ivresse du déboussolement, de béatitude physique, de bonheur partagé, d’orgie des relectures, d’enchantement immersif, d’enchantements rebelles…
Parler du plaisir de lire est une des conditions de son éclosion : c’est ce qui nous permet de le ressentir pleinement et de le partager.
Plaisirs non exhaustifs ni exclusifs qui se conjugent, se font écho et peuvent même s’opposer dans un même texte (la lecture est un univers non euclidien). Certains sont familiers, d’autres ont peut-être été entrevus fugacement et d’autres encore attendent d’être réveillés au cours d’une prochaine lecture.
Mais ce que nous révèle aussi Clémentine Beauvais, c’est que si le plaisir prend vie dans les mots, ce n’est pas seulement dans ceux qui sont couchés sur le papier ou la tablette mais aussi par ceux que nous, lecteurs, mettons pour le désigner. Parler du plaisir de lire est une des conditions de son éclosion : c’est ce qui nous permet de le ressentir pleinement et de le partager. En ce sens, le plaisir de la lecture naît du jeu avec le texte. Un jeu qui est pour l’autrice également un enjeu d’éducation : il serait souhaitable que l’école donne goût à cette école buissonnière de la lecture.
A ce titre, il serait bon que cet essai, destiné à la jeunesse, s’égare entre les mains de nombreux adultes. Une lecture utile où ils découvriraient aussi chemin faisant ce plaisir que nous avons exploré dans notre roman La Petite cloche au son grêle : celui de lire ce qui ne nous est pas a priori destiné et qui pourtant nous parle si intimement.
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