Paul Vacca
Pharrell Williams, caméléon de génie
Avec la nomination de Pharrell Williams au poste de directeur artistique pour la mode masculine chez Louis Vuitton, certaines personnes, face au C.V. de l’auteur-compositeur-interprète-producteur, n’ont été interloquées que par une seule ligne faisant défaut à son pedigree: l’absence de la mention d’un diplôme provenant d’une école de stylisme.
En effet, Pharrell Williams ne sort pas de la Saint Martin’s School of Arts de Londres ni de la Parsons School of Design de New York comme bon nombre de ses congénères à ce poste. Et ces mêmes personnes de déplorer un envahissant signe des temps: celui de la pipolisation, du pouvoir absolu des célébrités dans un marché désormais guidé par le nombre de followers sur Instagram ou de vues sur YouTube.
Un signe des temps, pourquoi pas? Mais pas nécessairement celui de la pipolisation. Car Pharrell Williams n’est pas le premier à n’être pas diplômé d’une école de stylisme: Karl Lagerfeld et Ralph Lauren non plus, Miuccia Prada était titulaire d’un doctorat en sciences politiques, et Virgil Abloh, le prédécesseur de Williams (décédé en novembre 2021) et qui avait marqué de son empreinte ce poste, était quant à lui DJ et architecte.
Une boule à facettes
Mais aussi et surtout parce que réduire l’expérience de Pharrell Williams à sa seule célébrité et à sa surface sur les réseaux sociaux, c’est faire peu de cas de toutes ses expériences dans les différents domaines qu’il a investis.
Que ce soit dans la musique au premier chef, tous genres confondus (funk, hip-hop, pop, soul, rock, disco ou électro) depuis son premier groupe N.E.R.D. au début des années 2000 jusqu’à ses différentes collaborations au succès planétaire avec Daft Punk (Get Lucky en 2013, of course), Britney Spears, Madonna, Jay Z, Justin Timberlake… (la page entière ne suffirait pas pour toutes les mentionner). Mais aussi en s’illustrant dans les domaines du style en collaborant dès 2008 avec Louis Vuitton déjà pour une ligne de bijoux et de lunettes, puis avec l’équipementier Adidas en 2014, en défilant pour Chanel ou en s’associant au créateur japonais Nigo pour créer des marques de streetwear. Ou encore dans le domaine de l’art en tant que commissaire d’exposition à la galerie Perrotin ou au Musée Guimet à Paris.
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Bref, Pharrell Williams est devenu au fil des collaborations un élément central de notre vie culturelle contemporaine. Comme le résume Philippe Chevilley dans les Echos, il possède “une boule à facettes qui tourne en permanence dans sa tête et illumine de ses rayons le style, la mode, l’art et la musique”. Avec une approche bien à lui: ce sens du swag, du cool, cette sprezzatura ultracontemporaine, cette forme de nonchalance dandy. Alors oui peut-être, Pharrell Williams n’est-il pas styliste, mais une chose est sûre: il “est” le style.
Alors oui peut-être, Pharrell Williams n’est-il pas styliste, mais une chose est sûre: il “est” le style.
Il y a quelques années Nicolas Bourriaud, critique d’art, prophétisait qu’un jour la figure du DJ serait la pierre angulaire de la culture. Dans un sens, le présent lui donne raison. Non pas en tant que pratique derrière les platines de disques mais métaphoriquement: comme figure qui sait mixer les courants, se jouer des frontières entre les genres, créer des ponts inédits en initiant des featurings audacieux.
Et c’est précisément ce type de featurings que recherchent aujourd’hui les Maisons avec leurs directeurs artistiques. Exit le démiurge aux traits de crayon et d’esprit intransigeants. Aujourd’hui, elles sont plus en quête d’alchimistes, de chamans, voire de caméléons. Et avec Pharrell Williams, il semble que Louis Vuitton ait trouvé son caméléon de génie: celui qui, à l’art de capter les couleurs de l’air du temps, ajoute celui de les faire étinceler de façon inédite.
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