Nvidia a encore frappé. Mercredi, hier donc, le fabricant de puces pour l’intelligence artificielle a franchi un cap historique : 4.000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Oui, 4.000 milliards. Personne n’avait encore atteint ce niveau-là. Même pas Apple ou Microsoft. Et pourtant, Nvidia n’est pas présent directement dans tous les foyers. Ce n’est pas une marque de smartphones ou de moteur de recherche. C’est une entreprise qui vend… des cartes graphiques, devenues essentielles dans la course mondiale à l’IA.
Et c’est justement cela, la clé : l’IA. En quelques mois, elle est devenue le nouvel or noir. Et Nvidia, c’est un peu l’Arabie saoudite de cette nouvelle économie. Tous les géants – Google, Meta, Amazon, Microsoft – viennent y faire le plein. Résultat : l’action a grimpé de… 2.600 % depuis 2020.
Ce qui est fou, c’est qu’en dépit de cette envolée, Nvidia reste “relativement bon marché” selon certains analystes. Pourquoi ? Parce que son PER – c’est-à-dire le prix de l’action par rapport aux bénéfices attendus – tourne autour de 32. L’an dernier, il était à 50. En clair : les bénéfices ont tellement explosé que même avec un cours à 160 dollars, le titre paraît encore “raisonnable” sur le papier. Autrement dit : l’action n’est donc pas donnée, hein, mais le prix n’est pas délirant non plus vu la dynamique de Nvidia.
Pourtant, tout n’a pas été simple cette année. En janvier, Nvidia a atteint un sommet… et puis patatras, une société chinoise, DeepSeek, dévoile un modèle d’intelligence artificielle très performant, qui tourne non pas sur les fameuses puces Nvidia, mais sur des puces concurrentes, et surtout, beaucoup moins chères. Une démonstration qui a jeté un froid : si d’autres acteurs parviennent à faire tourner de l’IA puissante sans Nvidia, alors l’argument des investissements massifs dans leurs puces pourrait s’effriter. À cela se sont ajoutées les tensions commerciales entre Washington et Pékin, et certains investisseurs ont commencé à douter. Est-ce que Nvidia n’investirait pas trop ? Est-ce que son avance technologique ne pourrait pas être rattrapée ?
Pour l’instant, la réponse est non. D’ailleurs, les résultats du premier trimestre ont rassuré tout le monde. La demande reste colossale. Nvidia vend les moteurs de la révolution IA, et tout le monde veut un bout de cette révolution.
Mais cette réussite fulgurante pose aussi une autre question : celle de la concentration. Aujourd’hui, cinq entreprises – Microsoft, Meta, Amazon, Alphabet et Nvidia – pèsent à elles seules près d’un quart du S&P 500, l’indice phare de Wall Street. Et si on ajoute Tesla et Apple, on dépasse même ce quart symbolique. C’est énorme, c’est du jamais vu dans l’histoire boursière.
Conséquence directe : quand ces géants vont bien, les indices montent. Mais s’ils toussent, c’est tout le marché qui s’enrhume. Et pour les gérants de fonds, ceux qui gèrent votre épargne, c’est un casse-tête. Parce que s’ils veulent jouer la prudence en réduisant la part de Nvidia dans leur portefeuille – ce qu’on appelle “sous-pondérer” – ils prennent le risque de faire moins bien que le marché. Et dans leur métier, cela ne pardonne pas. À l’inverse, s’ils misent trop lourdement sur Nvidia – ce qu’on appelle “surpondérer” – ils deviennent dépendants de la moindre mauvaise nouvelle. Avouez que ce n’est plus de la gestion, c’est de l’acrobatie.
En fait, c’est un peu comme si on jouait à la roulette avec une bille qui tombe toujours sur le même numéro. Tout le monde mise dessus, pas forcément par conviction, mais parce que ne pas miser, c’est prendre un risque encore plus grand.
Alors bien sûr, Nvidia, c’est aujourd’hui l’étoile la plus brillante du ciel boursier. Mais c’est aussi le symptôme d’un capitalisme devenu ultra-concentré, où quelques gagnants raflent la mise pendant que le reste du marché rame avec de longues rames. Et dans cette économie-là, la vraie question n’est plus : “Quelle est la prochaine pépite ?”, mais plutôt : “Combien de temps ces géants vont-ils tenir leur trône ?”
Or, si cette promesse se fissure, ce n’est pas une entreprise qui vacillera, mais tout un pan de l’économie numérique.