Philippe Ledent

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Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

L’évolution de l’emploi en Belgique est responsable d’une baisse du temps de travail moyen par employé. Un tel changement est-il une bonne ou une mauvaise chose pour l’économie?

J’ai déjà évoqué par le passé le fait que la relation entre l’activité économique et l’emploi, qui était pourtant une des plus stables sur les 25 dernières années, est actuellement perturbée. Autrement dit, elle subit des changements profonds, probablement de manière irrémédiable. Ainsi, le vieillissement de la population se traduit par un flux de nouveaux retraités sortant du marché du travail plus important que le flux entrant de jeunes actifs, ce qui crée des tensions sur le marché du travail.

Un autre changement structurel se confirme au fil des données disponibles: depuis le covid, le nombre d’heures travaillées en moyenne par employé a baissé. En effet, le nombre de personnes en emploi augmente plus rapidement que le nombre d’heures travaillées. Ce changement, dont les causes sont multiples (choix de vie, composition sectorielle de l’économie – voir infra) a d’importantes conséquences au niveau macroéconomique. En effet, l’économie crée plus d’emplois pour un niveau de croissance économique donné que par le passé.

Mais en termes d’heures travaillées, la relation historique reste davantage valable. Cela permet aussi d’expliquer que le marché du travail reste très tendu, et ce quel que soit l’état de la conjoncture économique: le vieillissement de la population raréfie la main-d’œuvre disponible, et davantage d’emplois doivent être créés que par le passé pour générer une même hausse du nombre d’heures travaillées. Ce phénomène est par ailleurs observé dans la plupart des pays de la zone euro.

En Belgique, si l’on prend la période allant du dernier trimestre de 2019 au premier trimestre de cette année, le nombre d’emplois a progressé de 3,2%, mais le nombre d’heures travaillées n’a progressé “que” de 2,7%. Il s’ensuit une baisse de 0,7% environ du nombre d’heures travaillées par employé. On retrouve ce phénomène à des degrés divers dans un ensemble de secteurs rassemblant 70% de l’emploi salarié.

Les secteurs où la croissance de l’emploi est la plus faible ont plutôt une moyenne d’heures travaillées élevée.

C’est notamment le cas dans l’industrie (ce qui est très étonnant), dans le commerce, les transports et l’horeca ou encore les soins de santé et l’administration. A l’inverse, dans les secteurs de la finance, la construction ou les services informatiques, on observe une augmentation du nombre moyen d’heures travaillées par employé.

Mais on observe aussi que les secteurs qui créent le plus d’emplois sur cette période sont aussi des secteurs où la moyenne d’heures travaillées par employé est légèrement inférieure à la moyenne de l’ensemble des secteurs. Par contre, les secteurs où la croissance de l’emploi est la plus faible (voire négative) ont plutôt une moyenne d’heures travaillées par employé élevée. Il s’en suit un effet de composition sur les chiffres globaux: indépendamment de l’évolution du temps de travail moyen dans chaque secteur, l’évolution intersectorielle de l’emploi en Belgique est aussi responsable d’une baisse du temps de travail moyen par employé.

Un tel changement structurel, s’il devait être confirmé, est-il une bonne ou une mauvaise chose pour l’économie? D’un côté, la tension sur le marché du travail est positive pour les personnes qui y participent: cela donne plus de poids aux travailleurs dans leur négociation salariale et augmente la probabilité d’un chômeur de trouver un emploi.

Mais d’un autre côté, la productivité par travailleur a tendance à moins augmenter (voire à baisser), alors que la moindre disponibilité de main-d’œuvre dans les prochaines années devrait inciter à aller en sens inverse (augmentation de la productivité) afin de maintenir une croissance économique suffisante pour financer les défis des prochaines décennies, dont le vieillissement de la population (encore lui…) ou les changements climatiques. Et sous cet angle, la baisse du temps moyen de travail n’est pas très réjouissante.

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