Bruno Colmant
Nous ne discernons pas les signaux faibles de l’Histoire
Nous pénétrons dans un monde où la volatilité sociétale s’amplifie à mesure que la mondialisation physique et informationnelle s’intensifie, en correspondance avec un capitalisme anglo-saxon lui-même instable et tourné vers l’avenir.
Ce monde devient un marché aux flux accélérés. La sphère marchande a étendu son empire grâce au développement des marchés financiers. Ces marchés, en permettant la spéculation sur le futur par le biais de divergences anticipées entre acteurs, ont également facilité l’emprunt sur ce futur. En exprimant une valeur basée sur des anticipations, ils permettent ainsi de remonter le temps. Et nous avons donc emprunté sur notre terre fertile en la saccageant.
Faute d’un cadre étatique mondial pondéré, le monde s’étouffera dans un système économique qui accélère sa propre dynamique. C’est dans ce contexte sous pression que des mouvements politiques émergents trouvent des terrains fertiles pour prospérer, certains incarnant l’apaisement illusoire d’un monde utopique tout en entretenant opportunément les dangers et les menaces du présent, qui leur assurent leur popularité.
L’écrivain autrichien Stefan Zweig (1881-1942) nous rappelait que “c’est une loi inéluctable de l’histoire : elle interdit précisément aux contemporains de reconnaître dès leurs premiers commencements les grands mouvements qui déterminent leur époque”.
Nous ne discernons pas les signaux faibles de l’Histoire. Nous contemplons l’avenir à travers les prismes du passé. Nous cherchons des répétitions de scénarios là où l’Histoire ne fait que nous surprendre. Or, la crise devant nous est une crise de fin de société industrielle. C’est une crise de modernité, c’est-à-dire une crise prospective.
L’absurdité des événements n’apparaît que si nous les évaluons à l’aune du court terme. S’il y a des périodes politiques, il faut dorénavant un temps étatique. Nous devons renouer avec un tracé moral. Nous avons besoin d’un État fort, ainsi que de régions fortes, non pas dans le sens de l’autoritarisme qu’ils peuvent exercer, mais dans celui de l’autorité qu’ils peuvent irradier. Avant tout, nous avons besoin d’un État rassurant.
Pourtant, aucune solution institutionnelle consensuelle ne pourra y contribuer, car ce qui importe, c’est la création d’un éthos de confiance : une vision à long terme qui promeut la cohésion sociale, la solidarité politique et la bienveillance économique.
La solution réside dans des valeurs morales, intégrées et respectées. Ces valeurs partagées sont la solidarité et le respect de l’autre. Il s’agit avant tout d’une éducation civique et publique. Ce travail sera constant car les valeurs se construisent plutôt qu’elles ne se postulent. Aujourd’hui, l’État engendre l’indécision et parfois même l’inquiétude, ce qui le fragilise. À long terme, quelles que soient les configurations politiques futures, nous serons tous perdants.
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