Pierre-Henri Thomas

Non, la Wallonie n’a pas vendu son âme à Google

Pierre-Henri Thomas Journaliste

La Wallonie vient de décrocher un joli pactole : Google dépensera, d’ici 2027, cinq milliards d’euros dans ses data centers à Saint-Ghislain et Farciennes, et une partie du milliard d’euros qu’Amazon va investir en Belgique pour consolider sa logistique bénéficiera aussi à l’économie régionale. Ces annonces, scellées lors d’une mission économique en Californie, ont fait briller les yeux des responsables wallons. Mais certains s’interrogent : ces investissements seraient-ils un cheval de Troie américain, pillant nos ressources énergétiques et écrasant nos commerces locaux ? On ne va pas le cacher : ces craintes sont partiellement fondées. Mais elles témoignent d’une vue partielle des choses. Si Google ou Amazon ne s’étaient pas renforcés en Belgique, ils se seraient renforcés ailleurs, et les entreprises belges en auraient subi de toute façon l’impact.

Bien sûr, Google et Amazon ne débarquent pas en Wallonie pour la beauté des bocages brabançons. Les incitations fiscales, les exonérations et les facilités sur le travail de nuit – des centaines de millions d’euros d’économies pour Amazon – ont pesé dans la balance. La question n’est pas de savoir si ces incitations sont justes – elles ne le sont jamais totalement –, mais si elles rapportent plus qu’elles ne coûtent. Une étude de l’Université de Mons et Deloitte estime que Google a déjà injecté 700 millions d’euros dans le PIB wallon depuis 2007, avec un impact attendu de 1,5 milliard par an d’ici 2027. Ajoutez à cela 300 emplois directs et plusieurs milliers d’indirects. Amazon, de son côté, emploie 400 personnes, soutient indirectement un millier de jobs et, selon l’entreprise, a contribué au PIB belge à hauteur de 140 millions d’euros l’an dernier.

On l’a dit, l’implantation de ces géants a toutefois des impacts négatifs. Le prix de l’électricité et le prix de l’eau pourraient être tirés vers le haut en raison de la gourmandise des data centers de Google. Certains s’inquiètent de l’impact corrosif d’Amazon sur le tissu économique local. Tout cela est vrai, mais la question est de savoir si ces “externalités négatives” peuvent être réduites et si les impacts positifs peuvent l’emporter sur le négatif. Une telle interrogation se pose d’ailleurs pour toute implantation. L’industrie chimique et pétrochimique qui s’est installée à Anvers génère elle aussi des dommages environnementaux.

Ce n’est pas une ode béate au capitalisme tech. C’est souligner simplement que la Wallonie a des outils pour créer un hub technologique.

Si l’on veut que la présence de ces deux titans numériques nous soit profitable, il faut faire en sorte qu’ils prennent à leur charge une partie des impacts négatifs qu’ils créent. C’est possible : Google, par exemple, s’est engagé sur la durabilité. Ses data centers wallons visent 100% d’énergie renouvelable d’ici 2030 et ont conclu des partenariats dans l’énergie pour 365 mégawatts, ce qui couvre une grande partie de leur consommation.

Et puis, il convient de se servir de la présence de ces poids lourds comme d’un levier pour l’économie régionale. Ce n’est pas une ode béate au capitalisme tech. C’est souligner simplement que la Wallonie a des outils pour créer un hub technologique important. Elle a des primes pour digitaliser les commerces, des réglementations pour limiter les excès énergétiques, des acteurs de développement régionaux pour créer un véritable écosystème autour de ces pôles d’attraction. Hasard du calendrier : c’est le message que distille le trio d’économistes qui a reçu le prix Nobel et qui se sont spécialisés dans l’étude de la croissance et de l’innovation. Philippe Aghion, l’un des membres du trio, nous avait dit un jour : “Comprendre l’innovation, c’est comprendre qu’il faut un écosystème.” Pourquoi cet écosystème ne serait pas wallon ?

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