Paul Vacca

Netflix: retour vers la TV?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Netflix est arrivé avec la promesse de bouleverser la télévision. Avant, à partir des années 1990, une révolution formelle avait déjà éclaté avec le câble. HBO, avec son slogan “It’s not TV, it’s HBO”, s’était rebellé contre les networks classiques en réinventant la série notamment avec Les Soprano, Sex & the City, The Wire ou Six Feet Under… Quinze ans plus tard, la plateforme de streaming de Los Gatos lui a emboîté le pas mais en proposant de surcroît une révolution technologique : la disruption.

Grâce à la liberté acquise par le streaming, fini la linéarité des programmes et les horaires fixes : on peut regarder ses programmes quand on veut, où on veut. Et cerise sur le gâteau, exit le supplice de l’attente hebdomadaire pour un nouvel épisode d’une série avec la pos­sibilité de voir toute une saison d’un seul coup, ouvrant à la pratique du bingewatching.

Netflix a importé dans le monde de la TV les dogmes gagnants de la Silicon Valley : le tout-tout-de suite (le clic) et le rien que pour moi (les algorithmes). Tout en reprenant la formule du câble : une formule d’abonnement sans publicité. Une disruption qui lui a plutôt réussi, comme on le sait. Et de fait, dès son lancement, ce fut un succès tant en termes d’abonnements que de valorisation qui tout deux grimpèrent au firmament. Une politique de conquête certes extrêmement coûteuse en termes de production de programmes avec des nouveautés tous azimuts chaque semaine pour des milliards de dollars, mais assurée par des marchés bienveillants tant que le nombre d’abonnés croissait.

Aujourd’hui, une nouvelle phase s’amorce. Il y a évidemment la concurrence des autres strea­mers comme Amazon Prime, Max, Disney+ ou Apple TV+ avec qui Netflix doit partager la part du gâteau. Mais cela ne constitue pas la menace principale. Netflix trône bien au-dessus et est quasiment la seule plateforme à atteindre la rentabilité là où les autres sont encore des passoires financières. Or, même si la plateforme continue d’engranger des abonnés, elle est sur le point d’arriver à maturité dans certains territoires comme les Etats-Unis et d’être confrontée à un pic en terme d’abonnements. L’époque expansionniste semble en tout cas sur le point de s’achever.

Cela nécessite des réajustements. Comme trouver de nouveaux relais de croissance au-delà des abonnements. La publicité en est un. Pourtant, les dirigeants de Netflix avaient promis la main sur le cœur que jamais, ô grand jamais !, il n’y aurait de publicité sur leur plateforme : la pub, c’était bon pour la télévision à papa. Mais depuis quelques mois, Netflix a proposé une offre d’abonnement moins chère en contrepartie de spots publicitaires tout en conservant son modèle sans publicité.

Certains pensaient que la formule avec publicité, si contraire à l’expérience initiale du streaming, connaîtrait un rejet. Or ce n’est pas le cas : c’est un véritable succès qui a permis à la plateforme d’augmenter son parc d’abonnés tout en s’assurant de nouvelles rentrées. De quoi renforcer une appétence naissante pour la publicité. Car qui sait quelle part elle prendra dans son modèle à l’avenir ?

En réalité, l’entrée de la publicité dans la bergerie vient parachever une mutation déjà à l’œuvre sur la plateforme : celle-ci prend moins de risques créatifs ; ses véritables succès d’audience sont assurés, comme le montre une étude, par les œu­vres de catalogues des anciennes séries TV comme Friends, Suits ou The Office ; elle introduit de la téléréalité et bientôt du sport… Comme des airs de retour vers la TV à l’ancienne. Comme quoi, on peut être un disrupteur et ne pas délaisser de vieilles recettes qui ont fait leurs preuves.

On peut être un disrupteur et ne pas délaisser de vieilles recettes qui ont fait leurs preuves.

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