Paul Vacca

Minecraft, le film culte instantané

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Suite au succès surprise de la comédie musicale The Rocky Horror Show, pot-pourri de films d’horreur, de glam rock et d’humour noir, la 20th Century Fox veut transposer l’exploit sur grand écran. Mais lorsque The Rocky Horror Picture Show sort au cinéma en 1975, c’est le flop. La critique déteste, le public n’y comprend rien, les salles sont désertées et les séances annulées.

C’est alors qu’un programmateur de New York le projette lors d’une séance de minuit. Et là – miracle ! – les spectateurs en redemandent et reviennent à chaque nocturne : c’est que le spectacle, désormais, est dans la salle autant que sur l’écran. Le happening permanent suivant un rituel rôdé et hystérique : on se déguise, on lance du riz, on hurle les répliques et on entame des danses collectives.

Le film ne quittera plus les écrans. Aujourd’hui encore, il est projeté partout dans le monde, devenu au fil du temps le film culte par excellence. Cinquante ans après, une question nous démange : dans notre économie de l’attention, où chaque seconde efface la précédente, un film a-t-il seulement le temps de devenir culte ? Pas sûr. C’est pourquoi, il a tout intérêt à le devenir tout de suite.

C’est l’exploit qu’est en train de réaliser A Minecraft Movie, sorti il y a deux semaines. Au-delà d’affoler le box-office mondial, il provoque à la fois un scroll frénétique sur les réseaux sociaux et une communion hystérique dans les salles au point que police a dû parfois intervenir. A Minecraft Movie incarne cette “cultification” accélérée. Avec The Rocky Horror Picture Show, il partage la détestation quasi-unanime de la critique et l’incompréhension d’une grande partie du public, surtout quand il ne connaît pas le jeu d’origine.

“A Movie Minecraft” envoie balader la courbe dramatique classique au profit d’une succession de micro-scènes conçues pour devenir virales.

Mais à la différence des films cultes d’antan qui péchaient généralement par ignorance, devenant mythiques malgré eux, A Minecraft Movie semble le faire exprès. Tout semble avoir été pensé pour que la critique déteste le film et que ceux qui ne connaissent pas le jeu vidéo duquel il est tiré n’y comprennent rien. Truffé de références au jeu (les fameux easter eggs), le film envoie balader la courbe dramatique classique et la narration organique au profit d’une succession de micro-scènes conçues pour devenir virales. Cela donne justement un film (dé)construit comme un empilement de hooks et de punchlines comme autant de cubes Minecraft. Les ressorts comiques sont calibrés pour pouvoir être isolés en extraits de 5 à 15 secondes (cadrage à la TikTok compris) et chaque chanson dure juste assez longtemps pour devenir un mème sur les réseaux sociaux, sans pour autant transformer le film en comédie musicale traditionnelle.

Jared Hess, le réalisateur, et Jack Black assument totalement l’aspect “staccato” du film qui correspond, selon eux, à l’esprit du jeu. Ainsi, la séquence du “chicken jockey” cristallise à elle seule le statut culte instantané du film : dès sa première diffusion, le combat d’un des personnages sur un ring avec un poulet chevauché par un bébé zombie (sic !) déclenche des cris, des cabrioles, des jets de pop-corn et même des lancers de poulets vivants dans les salles. Scènes aussitôt capturées et diffusées sur TikTok, transformant chaque projection en un événement communautaire.

Ainsi, la circularité magique du film culte est assurée par la grâce des smartphones et des algorithmes sous stéroïdes : pur artéfact “tiktokisé”, le film est rendu vivant par le public qui le rejoue, lui injecte du sens et le sacralise par sa participation. A Minecraft Movie est le film culte instantané pour une époque qui vit dans le culte de l’instant.

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