Vous allez à un concert pour écouter de la musique. Et vous finissez par voir votre tête en gros plan, projetée sur écran géant. C’est ce qu’a fait le groupe musical Massive Attack.
Grâce à la reconnaissance faciale, le public s’est retrouvé face à son propre reflet. Sur le moment, beaucoup ont souri. Mais derrière le sourire, il y a un malaise. Et une leçon.
Car ce qui amuse le temps d’un spectacle pourrait demain devenir notre quotidien. Le visage n’est plus seulement ce que nous montrons aux autres. Il devient une donnée. Une donnée qui s’achète, qui se revend, qui se monnaye.
Au Canada, une enquête a révélé que des magasins utilisaient la reconnaissance faciale sans en informer leurs clients. Pas pour leur sécurité. Pas pour améliorer l’expérience d’achat. Mais pour capter leurs visages à l’entrée, associer chaque visite à un profil biométrique, suivre leurs passages répétés et analyser leurs comportements dans les rayons.
Autrement dit : nous devenons une fiche invisible, créée sans notre accord, et qui en plus ne disparaît jamais.
Et le danger va au-delà du magasin. Car ces données peuvent être croisées avec d’autres : nos achats en ligne, nos cartes de fidélité, nos paiements bancaires, voire nos dossiers d’assurance. Résultat : notre visage, unique et permanent, devient la clé d’accès d’un suivi généralisé de nos habitudes. Contrairement à un cookie que l’on efface ou à un mail que l’on change, nous ne pouvons pas changer de visage.
Le Royaume-Uni, lui, avance plutôt au nom de la sécurité. Le gouvernement déploie des fourgons équipés de caméras de reconnaissance faciale en temps réel. Officiellement, c’est pour arrêter des criminels. En réalité, c’est la population entière qui est scannée. Et parfois ça se trompe.
c’était le cas d’un homme arrêté en sortant de son travail parce que la machine l’avait confondu. Ou c’était le cas d’une femme accusée à tort de vol. Voilà la promesse de la technologie : elle se trompe avec certitude.
Alors pourquoi cette course en avant ? Parce que c’est un marché colossal. Les géants du numérique affinent leurs bases de données. Les industriels de la sécurité vendent des solutions miracles. Les gouvernements se frottent les mains. Et le citoyen ? Il n’est pas acteur. Il est devenu matière première.
À court terme, cette technologie rapporte. Plus de données, plus de ventes, plus de contrôle. Mais à long terme, elle détruit ce qui compte le plus en économie : la confiance.
Or la confiance n’est pas un bonus. C’est le capital invisible qui fait tourner les marchés. Quand elle s’effrite, les coûts explosent, les litiges se multiplient, et la croissance s’étouffe.
Et donc, oui, Massive Attack n’a pas seulement fait un coup d’éclat artistique. Ils ont mis en scène le futur possible de nos sociétés : un futur où chaque visage est un code-barres.
Alors, question pour les dirigeants : est-ce que vous voulez vraiment bâtir votre stratégie sur l’exploitation des visages de vos clients ? Ou bien sur leur confiance ?
Parce que la donnée, tout le monde peut en collecter. Mais la confiance, une fois perdue, elle ne se rachète pas.