Paul Vacca

Loin d’être un ersatz de roman, la nouvelle vise une certaine forme de perfection.

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

A l’heure de l’hyper-choix, la nouvelle a de quoi satisfaire tous les goûts. Et pourtant, pas de frémissement en librairie. Au contraire.

A priori, la nouvelle littéraire a tout pour plaire. Par sa brièveté (entre quelques lignes et une trentaine de pages en moyenne), elle se révèle parfaitement adaptée à nos existences fragmentées. Comportant peu de personnages et une intrigue simple, elle devrait s’accorder à merveille à nos cerveaux sur-sollicités dans notre économie de l’attention. Capable de s’illustrer dans tous les genres, du réalisme à la science-fiction, du policier au comique, de la romance à l’horreur, elle a de quoi satisfaire tous les goûts à l’heure de l’hyper-choix. Et pourtant, pas de frémissement en librairie. Au contraire. Comme si la nouvelle s’éteignait après un très long âge d’or, depuis ses débuts sous forme de fabliau, de lai ou de dit au 13e siècle, jusqu’à la deuxième moitié du siècle dernier.

De fait, la nouvelle, aujourd’hui, souffre du paradigme écrasant du roman perçu comme forme ultime du génie littéraire – en tout cas en France, car il en va différemment aux Etats-Unis et dans les pays anglophones. Une nouvelle ne serait donc pour beaucoup qu’un roman par défaut, un texte auquel il aurait manqué le temps, le souffle et l’ambition pour devenir un roman.

Un faux procès. En effet, si on différencie par convention un roman d’une nouvelle par sa taille en termes de signes (la nouvelle propose moins de 17.500 mots, le roman plus de 40.000 mots et, entre les deux, navigue ce que les Anglo-Saxons appellent la novella), la taille de leur ambition, elle, est similaire. Voire supérieure. L’écrivain américain J. D. Salinger, qui s’est aussi illustré dans la nouvelle avec sa splendide Un jour rêvé pour le poisson banane, résume à la perfection l’ambition qui saisit le nouvelliste : « Ecrire une nouvelle, affirme-t-il, c’est essayer de faire entrer un gâteau aussi grand que l’univers dans un seul moule à biscuits ».

A la lecture des nouvelles de Julio Cortazar, de Guy de Maupassant, d’Edgar Poe, d’Ursula K. Le Guin, de Jorge Luis Borges, d’Alice Munro, Annie Saumont, de Raymond Carver ou de J. D. Salinger (liste non exhaustive), on ressent ce qu’un texte, pour minuscule qu’il soit, peut se révéler capable de produire comme vertiges majuscules. Autant de nouvelles qui sont des brèches ouvertes sur l’infini, communiquant au lecteur un tournis métaphysique souvent engendré par leur chute spectaculaire, constituant pour certains la marque de fabrique du genre.

La nouvelle est comme une figure imposée dans une compétition de danse où le moindre à-peu-près est disqualifiant.

Loin d’être un ersatz de roman, la nouvelle vise, du fait même de sa brièveté, une certaine forme de perfection. Le roman – a fortiori un « gros roman » – peut s’accommoder de quelques chutes de tension, de digressions pas toujours utiles, d’une construction un peu lâche. Et ce, sans cesser d’être pour autant un excellent roman. La nouvelle, en revanche, ne peut se permettre ce genre de facilités. Elle est comme une figure imposée dans une compétition de danse où le moindre à-peu-près est disqualifiant, la moindre faute d’exécution sautant immédiatement au visage. En ce sens, il n’est pas exagéré de dire que certaines nouvelles ont atteint la perfection, ce que ne sauraient prétendre que quelques très rares romans.

Mais alors, pourquoi ce désamour à l’heure où nous plébiscitons les formats courts ? Peut-être parce que l’ellipse, l’ironie, l’hyperbole ou la défamiliarisation, qui sont autant d’ingrédients propres à la nouvelle, exigent du lecteur une participation active. Alors que le « snacking culturel » s’adapte parfaitement à notre passivité. C’est pourquoi, les connaisseurs préconisent de ne pas “snacker“ les nouvelles, mais de les « déguster » une à une et en une seule fois afin de mieux habiter leurs espaces inédits. C’est le moins que l’on puisse demander pour un gâteau aussi grand que l’univers.

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