Bruno Colmant

L’Intelligence artificielle : l’implosion de l’enseignement ?

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

J’enseigne depuis trente ans dans différentes universités, et je connais l’importance du don de la connaissance, de la passion, et surtout la responsabilité de faire grandir des étudiants et de stimuler des échanges réciproques dans des interpellations de savoirs. Comme tout professeur d’université ayant structuré sa légitimité à travers un processus doctoral, je comprends l’importance de la recherche, de la publication et de l’ascèse qui les accompagnent. Mais aujourd’hui, l’intelligence artificielle s’impose. Elle prendra de multiples formes et n’en est qu’à ses balbutiements.

ChatGPT est principalement un modèle d’intelligence artificielle à la fois déductive et inductive. La déduction est axée sur la logique, tandis que l’induction se concentre sur l’apprentissage à partir des données. Il fonctionne en utilisant des techniques d’apprentissage automatique pour généraliser à partir de grandes quantités de données textuelles. Contrairement à une approche purement déductive qui utiliserait des règles logiques préétablies, ChatGPT tire des conclusions en se basant sur des informations statistiques et des associations de mots apprises au cours de son entraînement.

Mais bientôt, cette capacité d’induction sera exponentiellement multipliée, avec l’aide de capacité et de stockage et de calcul insoupçonnables

Cette réalité va-t-elle nous bouleverser, alors que nous sommes des êtres de déduction ? Évidemment. Depuis des années, j’entends dire que nous n’utilisons que 10 % de nos capacités cognitives. Avec l’intelligence artificielle, cela restera à 10 %, et les milliards de pour cent complémentaires seront fournis par l’intelligence artificielle. Mais alors, comment imaginer une seule seconde garder intact notre système d’enseignement supérieur et universitaire ?

Le rôle d’un professeur sera transformé, et la légitimité des attributs de son savoir remise en question. Il faudra redéfinir son rôle avec l’appui de l’intelligence artificielle. La structure déductive de notre enseignement occidental sera diluée. Des études supérieures de 5 ans seront bien trop longues, car des contenus seront remplacés par l’intelligence artificielle. La formation continue sera une exigence. En revanche, l’apprentissage des sciences humaines redeviendra essentiel dans un monde voué à l’amnésie et à l’instantanéité. Un professeur devra aussi se concentrer sur les aspects éthiques et sur la création de contenus pédagogiques innovants et le développement de compétences socio-émotionnelles. L’enseignement devra donc être adapté culturellement et il sera paradoxalement à la fois automatisé et personnalisé. Il sera sans doute plus égalitaire. Enfin, on verra les filières qualifiantes retrouver leurs lettres de noblesse et leur respect sociétal, sachant qu’elles seront aussi sublimées aux développements de l’intelligence artificielle.

C’est un monde gigantesque qui s’ouvre à nous. Un monde de remise en question des systèmes éducatifs et des savoirs, tels qu’ils sont actuellement formulés. Un monde qui conduira à modifier l’utilité et la valeur du travail. Qui exigera de redéployer l’enseignement vers la recherche et l’interaction homme-machine. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il faut établir un parallèle avec les bouleversements de l’informatique. Il s’agit ici d’une révolution. Et non pas d’une révolution qui nous ramène, à l’échelle planétaire, à revenir à notre point de départ. Notre planète va plonger en elle-même. Dans un autre monde. Et à cela que les autorités d’enseignement et académique devront s’attaquer par une réflexion sociétale d’ampleur.

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