Paul Vacca

L’intelligence artificielle et le nouveau piège générationnel

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On avait fini par admettre comme un axiome que les jeunes générations étaient naturellement favorisées par l’avènement des nouvelles technologies.

Quoi de plus logique finalement que ceux dont c’est le biotope natif soient plus à l’aise pour naviguer dans les nouvelles configurations numériques ? On avait donc assimilé les digital natives à des digital masters : maîtres et possesseurs du futur. Alors que les générations précédentes se trouvaient a contrario déclassées, lestées par leurs bagages d’habitus et de comportements pré-numériques, jugés obsolètes comme des obstacles à une langue qu’ils ne seraient jamais en mesure de parler couramment. Même si cela est brutal, rien de profondément révoltant après tout : c’était un peu l’ordre des choses, la loi naturelle du remplacement générationnel.

Or, avec l’arrivée de l’IA, il semblerait qu’un scénario à front renversé se dessine. Comme si un piège était en train de se refermer sur une génération élue par le numérique. D’abord, parce que leur avantage compétitif est en train de se transformer en soupçon généralisé. Alors qu’ils étaient regardés comme des messies, détenteur des clés, ils sont désormais vus comme des resquilleurs. Si l’on commence à comprendre le casse-tête méthodologique des professeurs face à l’IA, a-t-on pleinement mesuré le choc existentiel que cela constitue pour les élèves et les étudiants ? Étudier à l’ère de l’IA est une situation inconfortable. Car dans le monde qui a accouché de la plus grande invention depuis l’imprimerie, en l’utilisant, on encourt le risque d’apparaître comme un tricheur ou un imposteur, et en ne l’utilisant pas, c’est tout l’effort qui se trouve dévalorisé, car la machine peut faire la même chose. Avec l’IA, le ressort de la gratification s’est cassé.

Ensuite, parce que l’IA est en train de faire disparaître les postes de stages en entreprises, au prétexte que les tâches dévolues aux stagiaires (synthèses de données, PowerPoint ou rapports…) sont effectuables en quelques clics et une poignée de secondes par une IA. À quoi bon s’encombrer d’un stagiaire ? Mais avec la disparition de ces stages, ce sont les portes d’accès aux soft skills qui se ferment pour les nouvelles générations : or, elles ne s’acquièrent que dans l’interaction réelle. C’est bien entendu dommageable au premier chef pour toute une génération de juniors, mais aussi à terme pour l’entreprise elle-même qui se coupe de son renouvellement générationnel.

Et enfin, parce que paradoxalement l’IA est un levier technologique qui favorise mécaniquement les compétences déjà acquises. Celles notamment jugées “préhistoriques” comme le bagage systémique permettant d’établir un contexte ou la culture transversale créatrice de liens qui deviennent aujourd’hui des alliés pour mieux exploiter l’IA.

Le tort a été de messianiser les jeunes générations tout en les enfermant dans un habitacle numérique (la programmation, les data ou les interfaces). Mais surtout, de les avoir confinées dans un credo de rupture hérité de la Silicon Valley en professant l’obsolescence des savoirs et de la culture, c’est-à-dire l’inutilité des humanités. Une fracture numérique en a créé une autre.

Il ne s’agit pas de prêcher un retour en arrière, mais de comprendre que les aptitudes préhistoriques peuvent devenir des atouts méta-numériques.

Il ne s’agit pas de prêcher un retour en arrière, mais de comprendre que les aptitudes préhistoriques peuvent devenir des atouts méta-numériques. Et les humanités, le nouveau “langage de programmation” de l’IA. La culture n’a jamais été une fin en soi, mais le matériau qui nous permet d’exercer notre intelligence humaine – et aujourd’hui, artificielle. “Ce sont les humanités qui donnent sens, orientation et profondeur à ce que l’IA peut produire”. Et ce n’est pas moi qui le dis : c’est ChatGPT qui me l’a soufflé.

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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