Eddy Caekelberghs
L’Europe de la peur
Elle ne va pas bien l’Europe. Un peu partout, un discours de repli, de refus ou de déni de réalité. Ce “sentiment” global – un sentiment, plus qu’une réalité – de glissade qui engendre la politique de la peur ! Et c’est sur cela que surfent tous ces “populismes”, ce mot fourre-tout qui ressemble à un “je vous ai compris” débouchant sur : “ce que vous voulez, c’est qu’on vous protège”… Mais de quoi, bon sang ? Et depuis quand – dans toute l’histoire l’isolationnisme, la peur et le repli ont-ils engendré du bonheur commun ?
Aux communales récentes – de la gauche sociale-démocrate à la droite charpentée – un seul slogan : la sécurité ! Associée à la question de la migration. Et celle de la propreté. Quel cocktail ! Relisez bien : (in)sécurité – immigration – saleté. On se croirait dans un meeting de Donald Trump, non ? Certains allant jusqu’à (dis)qualifier certaines catégories de personnes en leur accolant une étiquette d’habitants de “baraques”. Pourquoi pas des “grottes” tant qu’on y est ? Disqualifier des gens en situation de dépendance, de pauvreté ou d’extrême fragilité ne résout rien, n’aboutit à aucune solution pérenne. Sauf à légitimer le discours de la peur.
Dans son plus récent ouvrage (censuré par le gouvernement Meloni), l’analyste et romancier Antonio Scurati – la plume de la trilogie “M” consacrée à Mussolini – analyse cette “politique de la peur”. Que dit-il ? Qu’ “à un certain moment, il n’est plus permis de se dérober. Quand on veut raconter l’Histoire avec une majuscule, l’histoire collective des peuples au cours du temps, il faut reconnaître qu’on en fait partie. On doit se déclarer coupable. De quoi ? D’être un individu parmi tant d’autres. D’être comme tout le monde. ‘D’être incapable de distinguer le danseur de la danse’, comme le disait le grand poète Yeats”.
Disqualifier des gens en situation de dépendance, de pauvreté ou d’extrême fragilité ne résout rien.
Nous sommes – comme le décrit Scurati – les héritiers non du Mussolini fasciste, mais du Mussolini populiste et souverainiste. Avec la tentation tout aussi contemporaine de la personnalisation autoritaire, poursuit-il. “Je suis le peuple”. On est à quelques phrases d’un futur “le peuple, c’est moi”. Qui se nourrit – comme Mussolini, l’ex-homme de presse – de récits et d’images qui conditionnent et façonnent une pseudo-réalité. C’est l’ère des fake news, des “réalités alternatives”. Celles où Trump nous dit qu’à Springfield, des migrants mangent les chiens et les chats domestiques des natifs et habitants du coin. Ces “réalités alternatives” qui nous feraient voir des hordes de personnes hirsutes sur tous nos trottoirs. Nouveaux Attila en puissance qu’il faut à tout prix contrôler, déplacer, éradiquer. Si possible en les déportant ou les renvoyant, loin. Cachez ces miséreux que je ne saurais voir ni côtoyer.
Mais ces déplacés de l’histoire, qui croient encore trouver ici un eldorado fantôme, ne vont pas se résoudre docilement à être une poussière balayée sous nos tapis. Des migrations qui vont d’ailleurs augmenter en fonction de nos inactions climatiques. Inactions programmées politiquement comme une réponse à nos autres peurs : celles liées à notre possible propre déclassement de niveau de confort.
Cet “autre” que l’on rejette comme un détritus, un détraqué, voire un “malade” n’est que le produit de nos sociétés inégalitaires. Il faudra pourtant bien qu’au minimum celles et ceux qui se disent attachés au progressisme (si ce n’est pas devenu un mot tabou et malsain) se souviennent de l’article 1 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 : “le but de tout gouvernement est le bonheur commun”. Chiche ?
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