Philippe Ledent

L’Europe, condamnée à croître ou à périr

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Début septembre, Mario Draghi, l’ancien président de la Banque centrale européenne, a présenté son rapport sur l’avenir de la compétitivité de l’Europe. On a trop vite résumé ce rapport à la nécessité d’investir 800 milliards d’euros par an et d’émettre des obligations européennes pour financer ces investissements. Le constat, l’analyse, la documentation et les solutions proposées vont bien plus loin.

Le rapport identifie trois domaines dans lesquels il reste beaucoup à faire. Premièrement, l’Europe doit essayer de combler le fossé technologique qui la sépare des États-Unis et de la Chine. Deuxièmement, nous devons faire en sorte que la décarbonation de notre économie soit un avantage et non un inconvénient pour nos entreprises. En effet, il apparaît aujourd’hui que le nombre de réglementations et de démarches administratives imposées est tel que l’agenda vert est devenu un problème majeur, en particulier pour les petites entreprises. Enfin, l’Europe doit assurer sa sécurité dans un monde plus incertain et réduire sa dépendance à l’égard de partenaires moins fiables.

Par ailleurs, Mario Draghi met le doigt sur de nombreuses questions qui empêchent de traiter les problèmes en profondeur, voire qui les exacerbent. Par exemple, il dénonce le fait que l’excès de réglementation étouffe l’innovation. Ainsi, la combinaison de la loi sur l’intelligence artificielle et du règlement général sur la protection des données (RGPD) signifie que l’utilisation des données dans les algorithmes est devenue un cauchemar pour les entreprises européennes. Il n’est pas étonnant que l’Europe ait déjà pris un retard considérable en matière d’intelligence artificielle par rapport aux États-Unis et à la Chine.

Pour Mario Draghi, sans changement radical, l’Europe semble condamnée à croître à un rythme d’escargot.

Il est également intéressant de noter que plusieurs passages du rapport affirment que la réglementation européenne cherchant à éliminer le moindre risque, un grand nombre d’activités prometteuses sont immédiatement étouffées avant même leur développement. Enfin, dans certains secteurs, il est également important de disposer d’une taille suffisante pour être compétitif au niveau mondial, mais la Commission européenne l’a souvent empêché par le passé, car cela aurait pu créer une position dominante sur le marché européen. La conséquence est que nous sommes de plus en plus confrontés à des entreprises dominantes non européennes.

Bref, Mario Draghi souhaite jouer la carte européenne, en particulier dans les domaines où la fragmentation entrave la croissance, afin de créer davantage de prospérité. Mais il précise que l’Europe ne doit pas vouloir se mêler de tout et qu’une approche plus réfléchie est nécessaire. L’ancien président de la BCE n’y va pas par quatre chemins : sans changement radical, l’Europe semble condamnée à croître à un rythme d’escargot. Il parle d’une lente agonie. Il est temps de doper les gains de productivité pour relever la croissance économique. Cela heurtera probablement les décroissantistes qui ont par ailleurs, ces 10 dernières années, réussi à faire entendre leur discours auprès des institutions européennes. Pour eux, au contraire, il s’agit de décroître pour ne pas périr. Dans son rapport, Draghi leur répond finement que sans croissance, l’Europe ne peut plus financer son modèle social, encore moins être un leader dans la lutte contre le changement climatique ou un poids lourd politique sur la scène mondiale.

Il faut donc choisir : croître et s’en donner les moyens, ou décroître et en assumer les conséquences. Mais une chose est certaine : tenter le compromis en visant la croissance économique tout en affichant une certaine sympathie pour la décroissance ne fera que prolonger l’agonie.

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