Eddy Caekelberghs

L’Europe au bord de l’abdication

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

L’Europe, ce vieux continent qui se croyait mère du progrès et de la vertu, patauge aujourd’hui dans un bal masqué géopolitique où les masques tombent, mais les postures restent figées.

Tandis que la Chine, à Tianjin et Pékin, étale sa renaissance triomphante, tisse ses réseaux d’influence, engrange alliances solides et ambitieux projets, l’Europe regarde sans réaction son déficit commercial avec Pékin doubler année après année. Avec cette question embarrassante : plier d’abord devant Trump, puis sous le poids croissant de Xi Jinping, oscillant entre passivité et impuissance grandissante ?

Le récit occidental n’a plus d’écho auprès des classes moyennes asiatiques ou africaines, pour qui l’Europe est devenue un lieu de tourisme, sans aura morale ni projet d’avenir tangible. Notre humanisme sonne faux quand des migrants meurent à nos frontières, en silence.

Sur le papier, l’Union européenne regroupe 9 des 25 premières économies mondiales, l’euro tient bon, et le marché intérieur reste un poids économique considérable. Mais face à la stratégie chinoise finement orchestrée, la diplomatie rusée de Moscou, et à un club des BRICS en pleine expansion, l’Europe hésite, s’observe avec prudence : qui osera enfin “croquer le gâteau” du pouvoir mondial ? Macron y croit, Merz en doute, paralysé par la peur de l’extrême droite, et piétine sans oser s’engager pleinement. Résultat ? Colloques interminables, débats de salon à profusion, livres blancs à la pelle, mais peu d’actes décisifs réellement marquants.

Sur la scène globale, chacun cherche à “acheter la paix” au prix d’accommodements successifs qui érodent la souveraineté européenne et ses idéaux fondamentaux – qu’il s’agisse d’abandonner l’Ukraine à ses prédateurs ou de concéder des pans entiers de démocratie et d’autonomie décisionnelle. Face aux égoïsmes américains, russes et chinois, la conscience européenne s’éveille, paraît-il, mais cette prise de conscience survient tardivement, comme un triste aveu que “croire agir” et “agir vraiment” sont deux mondes à part.

On blâme Bruxelles pour tous les maux : surrégulation étouffante, bureaucratie maladive, insuffisante impulsion à l’innovation et à l’intelligence artificielle. Mais la vraie faiblesse est ailleurs, dans les États-nations, maîtres dans l’art du déni et du faux-fuyant, prompts à se cacher toujours derrière les lourdeurs institutionnelles pour fuir toute responsabilité. Le jeu est ancien et cynique : dénoncer l’Europe à Paris, Rome ou Varsovie pour mieux bloquer l’Europe toute entière et miner l’effort commun.

Dans ce nouvel ordre mondial instable, l’indécision européenne, même polie et nuancée, est synonyme d’abdication.

L’Europe souhaite revendiquer son modèle démocratique et social sur la scène internationale tout en refusant obstinément de se transformer et se réinventer. Elle attend que l’Amérique faiblisse, puis s’efface, pour prendre la relève, confondant héritage historique avec influence et capacité réelles. Une “troisième voie” est régulièrement brandie, ni atlantique ni sino-russe, mais sans volonté partagée, sans stratégie claire ni boussole commune, cette voie demeure un mirage illusoire. L’Europe se complaît dans son modèle social, trop attachée à ses particularismes et acquis pour oser changer en profondeur.

Dans ce nouvel ordre mondial instable, l’indécision européenne, même polie et nuancée, est synonyme d’abdication. Le continent offre le spectacle d’un acteur vieillissant, hésitant, convaincu d’avoir le luxe du temps alors que l’Histoire elle-même ne fait pas de pause. Le leadership exige autre chose que des discours bien troussés : il réclame courage, vision ambitieuse, et surtout, action déterminée et cohérente.

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