Paul Vacca
Les super-héros ont-ils perdu leurs super-pouvoirs?
En lançant le Marvel Cinematic Universe (MCU) en 2008, Kevin Feige, producteur chez Marvel Studio (propriété de Disney) a eu une idée de génie: encapsuler l’ensemble des films de super-héros Marvel dans un univers partagé afin de les inscrire dans une continuité temporelle commune. Ainsi un méta-arc narratif (un grand récit dans lequel chaque “petit” récit s’insère) chapeaute toutes les productions. Une façon habile de faire fructifier la pléthore de super-héros légués sur papier par les comics Marvel depuis les années 1930: Iron Man, Black Widow, Thor, Ant Man, Captain America, Black Panther, Hulk, etc., réunis pour la plupart dans la super-troupe des Avengers. Une chaîne de montage qui se décline en plusieurs phases: nous en sommes à la phase 5 et la phase 6 est prévue pour 2024.
Avec une telle gestion de contraintes, les films deviennent de simples pièces d’un immense puzzle perdant tout leur intérêt individuellement.
Une machinerie fictionnelle couronnée en 2019 par Avengers: Endgame, le film de super-héros le plus lucratif de l’histoire du cinéma, se plaçant deuxième juste derrière Avatar au box-office de tous les temps avec 2,8 milliards de dollars. Mais surtout Kevin Feige a mis au point une formule industrielle gagnante pour résoudre à grande échelle l’équation paradoxale d’Hollywood: créer de nouvelles histoires dans un univers qui soit toutefois familier.
Car depuis que le cinéma est fortement concurrencé par d’autres écrans (celui de la télévision d’abord, puis de la vidéo et enfin celui des plateformes de streaming), il est sommé de répondre à une injonction contradictoire sous forme de casse-tête: proposer quelque chose de familier aux spectateurs (car ils ne se déplacent au cinéma que s’ils savent par avance ce qu’ils vont voir) tout en continuant de les étonner (sans quoi ils ne voient pas l’intérêt de se déplacer).
Or, aux dernières nouvelles, il semblerait que la locomotive qui a propulsé la franchise Marvel au sommet ait quelques ratés: The Eternals, Morbius et surtout Ant-Man 3, censé pourtant relancer en fanfare la machine du MCU après la pandémie, ont été des flops retentissants dans le monde. La machinerie fictionnelle est en train de se muer en usine à gaz. D’autant qu’il faut aussi désormais alimenter la plateforme Disney+ en déclinaisons fraîches comme Miss Marvel, WandaVision, Secret Invasion, etc. Intégrer le MCU est devenu un vrai casse-tête scénaristique.
Lassitude des spectateurs
Toutes les productions doivent, par exemple, intégrer le “multiverse” (l’existence des personnages dans plusieurs univers simultanément) pour les nouvelles phases. Avec une telle gestion de contraintes, les films deviennent de simples pièces d’un immense puzzle perdant tout leur intérêt individuellement. Seul LesGardiens de la Galaxie 3, qui s’est affranchi des règles du MCU, retrouve les vertus d’un film de cinéma avec une progression narrative non dictée par des contraintes extérieures.
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Mais plus largement, il y a aussi un phénomène de surenchère qui engendre la lassitude des spectateurs face à la surproduction du MCU. Phénomène que l’on observe aussi chez DC (la maison concurrente qui héberge Superman et Batman) qui avec son DCU (calqué sur le MCU) fait face à des accidents industriels tout aussi cataclysmiques avec Shazam 2 ou The Flash…
Peut-être est-ce le signe que l’on est arrivé à la fin du filon industriel des super-héros. Comme pour les filons du western ou du péplum en d’autres temps. Aujourd’hui, d’autres héros affolent les compteurs du box-office: Super Mario Bros ou Barbie. Plus modestes, ils ne cherchent pas à sauver ou à détruire le monde. Juste à distraire son monde. Et Hasbro, le fabricant de jouets, déclare avoir pas moins de 45 adaptations en vue tirées de son catalogue. Après les super-héros, place aux héros-joueurs?
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