Bruno Colmant

Les multiples contradictions européennes

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Près de 25 ans après l’instauration de l’euro, l’Union européenne se retrouve à un moment décisif, où elle doit affronter ses contradictions internes les plus profondes.

L’Europe n’a jamais été une unité homogène. Elle est composée d’agrégats d’États-nations aux trajectoires diverses. Certains ont choisi de quitter l’union, à l’instar du Royaume-Uni, tandis que d’autres, comme les pays du groupe de Visegrád, se montrent de plus en plus distants. Ce paradoxe est accentué par le vieillissement de la population européenne, un phénomène qui contraste avec la réticence du continent à accepter l’immigration, un potentiel levier pour sa croissance.

Durant les 50 dernières années, l’Europe a profité de la mondialisation, en délocalisant ses activités industrielles d’abord à l’Est puis en Asie, afin de réduire les coûts de production. Mais cette stratégie de désindustrialisation a fini par affaiblir ses économies locales. De plus, le continent, qui ne dispose pas de ressources énergétiques suffisantes, a longtemps sous-investi dans l’énergie nucléaire, un choix qui, aujourd’hui, pèse lourdement sur sa dépendance énergétique.

L’Europe a également sous-estimé l’importance d’une défense autonome, préférant s’appuyer sur la protection américaine, sans anticiper le retrait progressif des États-Unis vers un isolationnisme croissant. La guerre ukrainienne, dont l’issue est conditionnée partiellement par l’élection présidentielle américaine, en est l’illustration la plus complète.

En adoptant l’euro, inspiré du modèle monétaire américain, l’Union européenne a misé sur la libéralisation du marché du travail. Cependant, dans les faits, les États-providence limitent cette mobilité, rendant la monnaie unique structurellement fragile.

L’une des contradictions les plus marquantes de l’euro est qu’il impose un désendettement strict des États membres, conformément à la vision allemande qui lie dette et morale (le mot « schuld » signifiant à la fois dette et faute). Pourtant, le vieillissement démographique entraîne des dépenses sociales croissantes. Pour respecter les contraintes de déficit budgétaire, de nombreux États ont alors décidé de réduire les investissements publics. C’est évidemment un désastre, qui est reconnu par Allemands eux-mêmes. Et c’est l’illustration parfaite que l’euro n’est pas pensé par des visionnaires.

Cette situation a poussé Mario Draghi à recommander des investissements massifs, de l’ordre de 800 milliards d’euros sur 10 ans, représentant environ 50 % du PIB. Cependant, ces fonds ne peuvent être mobilisés que par l’endettement public et un soutien massif de la BCE, une démarche qui entre en contradiction avec les principes de rigueur budgétaire.

La réélection probable de Donald Trump pourrait accentuer ces tensions. L’Europe devra alors reconnaître la nécessité d’assouplir ses règles budgétaires pour répondre aux besoins sociaux et économiques. Certes, cela entraînera une certaine inflation, mais celle-ci sera inévitablement généralisée à l’échelle mondiale.

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