Les limites de l’offre ne sont pas sans conséquences

Philippe Ledent
Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

En termes d’inflation et de politique monétaire, les quatre dernières années ont ressemblé à un cycle classique : l’inflation a bondi, la politique monétaire a réagi par des hausses de taux, puis l’inflation a baissé et maintenant, tout le monde s’attend à des diminutions de taux. Mais en réalité, ces années ont été tout sauf classiques : l’économie mondiale a connu une série de chocs inédits, dont des confinements, des impulsions budgétaires fortes et des modifications profondes dans les dépenses de consommation, sans parler de l’énorme vague d’inflation elle-même.

Malgré ces nombreux tiraillements, les banques centrales ont lutté contre l’inflation d’une façon classique et on ne peut nier que la flambée des prix a ralenti. Spontanément, ou du fait des relèvements de taux ? Cela reste un mystère. Il est en revanche clair que les taux élevés continuent à peser sur l’activité économique et que plus ils resteront hauts, plus le risque d’accident sera important.

Après les tempêtes, reviendra-t-on comme durant la précédente décennie à une demande relativement faible, une inflation quasi inexistante et des taux proches de zéro ? Il est un peu tôt pour le dire, mais on a de plus en plus la conviction que “cette fois, ce sera différent”. En fait, même si la croissance peine à évoluer en territoire positif, la demande globale n’est pas faible, elle bouillonne au contraire. Sur le plan non pas de la consommation, mais des dépenses publiques et des investissements : il faut poursuivre la transition énergétique, isoler le parc immobilier, repenser notre mobilité mais aussi augmenter drastiquement les dépenses de défense (on s’en serait bien passé, mais c’est la réalité) et se préparer aux conséquences du vieillissement de la population. Or l’offre ne suit pas. A cause, justement, de la démographie vieillissante, de la diminution des heures travaillées par personne, du ralentissement de la productivité ou encore de la dé-mondialisation.

Bien sûr, les taux finiront par reculer, mais sans doute pas à des niveaux aussi faibles qu’avant 2020.

L’intelligence artificielle provoquera-t-elle un choc de productivité qui libèrera les contraintes pesant sur l’offre ? On peut vraiment l’espérer. Si ce n’était pas le cas, la persistance d’une offre limitée ne serait pas sans conséquences. Les politiques à mettre en œuvre dans une telle situation sont très différentes des recettes initiées par Keynes dans les années 1930, qui ont accompagné la stratégie économique depuis l’après-Seconde Guerre mondiale.

Cela explique aussi pourquoi les banques centrales sont très prudentes à l’égard des taux. Compte tenu des contraintes exercées sur l’offre, le risque est en effet grand qu’une reprise économique plus rapide que prévu conduise à un retour de l’inflation. Bien sûr, les taux finiront par reculer, mais sans doute pas à des niveaux aussi faibles qu’avant 2020. En effet, même si quelques doutes persistent, les premières recherches indiquent que les taux neutres (qui n’accélèrent ni ne freinent les économies) sont légèrement plus élevés qu’avant, tant aux Etats-Unis que dans la zone euro.

Il va donc falloir trouver un nouvel équilibre entre offre et demande, ainsi qu’un nouvel équilibre de taux. Car en dépit de la menace d’inflation, la dette publique et les besoins de financement, colossaux, de nombreuses économies, exigent des taux bas. Il est impossible de dire à ce stade quand les banques centrales repenseront leurs priorités, accepteront une inflation un peu plus élevée et remettront l’accent sur la croissance. Mais un jour, elles le feront. z

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