Philippe Ledent
Les indicateurs de confiance dans la brume
Que le métier d’astrologue ou de numérologue doit être facile! Si votre futur peut être déterminé par des choses aussi stables que l’alignement des planètes ou les chiffres composant votre date de naissance, la prévision devient un jeu d’enfants. Sinon, si l’on accepte l’idée que le futur est incertain par essence, la prévision est une discipline complexe qui se base sur des indicateurs et des modèles utilisant le comportement passé et la valeur présente des indicateurs pour déterminer ce que pourrait (au conditionnel! ) être l’avenir.
La prévision économique repose donc sur les liens qui existent entre le comportement de certains indicateurs et l’activité économique. On sait néanmoins que ces liens peuvent changer dans le temps, au risque que les signaux donnés soient mal interprétés. J’ai précédemment déjà évoqué par exemple le comportement particulier des variables liées au marché du travail. Certes, ce marché a toujours été un indicateur retardé du cycle de l’activité. Mais par ailleurs, en raison de chocs structurels (vieillissement de la population, diminution du temps de travail moyen depuis le covid, forte augmentation du nombre de malades de longue durée), ses indicateurs reflètent encore moins l’état actuel du cycle de l’activité. Bref, la perturbation du lien entre l’indicateur et l’activité rend la prévision plus difficile mais, au moins, elle peut s’expliquer.
Les indicateurs de confiance ont-ils perdu une partie de leur pouvoir prédictif, ou bien nécessitent-ils seulement un recalibrage?
Dans d’autres cas, la situation semble plus complexe. L’indicateur de confiance des consommateurs mesuré par l’université du Michigan aux Etats-Unis en est un bon exemple, car il semble avoir perdu une partie de son pouvoir prédictif. En effet, cet indicateur de confiance avait plongé (comme tous les autres) durant le premier confinement de 2020. Rien d’étonnant ici. Mais après s’être un peu redressé par la suite, il a subi de nouvelles corrections en 2021-2022, atteignant des niveaux plus observés depuis la crise de 2008, et ce alors que l’économie américaine s’est très largement redressée entre la seconde moitié de 2020 et la période actuelle. C’est un peu comme si, à l’image d’un instrument de mesure que l’on aurait secoué, l’indicateur aurait besoin d’un nouveau calibrage pour refléter correctement les fluctuations.
En fait, il en va de même de nombreux autres indicateurs: toujours aux Etats-Unis, l’indicateur avancé du Conference Board est depuis des mois à un niveau qui, par le passé, a TOUJOURS indiqué une récession. Et pourtant, l’économie américaine a encore signé, au troisième trimestre de cette année, une performance très solide.
La Belgique n’est pas en reste. Un regard sur les indicateurs de confiance des entreprises mesurés par la Banque nationale suffit à comprendre que l’état de l’économie n’est pas bon. Au mieux, les indicateurs vivotent sous leur moyenne de long terme, mais la confiance a récemment plongé dans le secteur de la construction et est proche de ses niveaux les plus bas dans le secteur manufacturier. Dans ce dernier cas, il n’y a pas grand-chose à dire: la faiblesse de l’industrie est confirmée par d’autres données. Mais dans les autres cas, c’est un mystère: les premières estimations de l’Institut des comptes nationaux (ICN) font état d’une belle croissance du secteur de la construction au troisième trimestre et, de manière générale, la croissance de l’activité économique en Belgique est proche de son potentiel et bien meilleure que ce que ne reflètent les indicateurs de confiance.
On pourrait multiplier les exemples mais, au final, l’interrogation est la même: les indicateurs de confiance ont-ils perdu une partie de leur pouvoir prédictif ou bien nécessitent-ils seulement un recalibrage après les énormes chocs subis par les économies ces dernières années? Ou bien peut-être nous envoient-ils un signal que personne ne veut encore voir…
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