Amid Faljaoui
Les banquiers, nouveaux boucs émissaires
Il fallait s’y attendre, nos politiques ont trouvé un nouveau bouc émissaire pour détourner l’attention du public sur leurs propres errements ou manquements.
D’ailleurs que ce soit en Belgique, en France ou ailleurs en Europe, il était question de les faire payer leurs superprofits. En gros, le discours ambiant de l’époque consistait à dire que « pas question que des géants du secteur pétrolier se gavent à coups de hausse des dividendes ou de rachats d’actions alors que le citoyen était prié de faire baisser son thermostat ».
Mais avec l’actualité, le bouc émissaire d’hier n’est déjà plus celui d’aujourd’hui. Maintenant, ce sont les banquiers qui sont dans le collimateur de nos politiques. La tentation était trop forte et donc ils y ont succombé. Il faut dire que la communication des banques est assez bancale pour ne pas dire gauche. Les citoyens voient quoi ? Que semestre après semestre, les banques affichent des profits énormes, voire souvent historiques. Plutôt que de s’en féliciter pour le bien-être de notre économie, le citoyen ne comprend pas que son compte d’épargne ne soit pas mieux rémunéré alors que les taux d’intérêt ne font que grimper depuis 15 mois à l’initiative de la banque centrale européenne.
Le citoyen comprend d’autant moins qu’il a l’impression – biaisée ou pas – que les banques sont redevenues arrogantes. Autant, ces dernières ont été détestées durant la crise des subprimes en 2008, autant leur soutien pendant le COVID en 2020 a été salué unanimement. Mais voilà, deux ans après l’épidémie, le curseur de la popularité bancaire est à nouveau au plancher.
Les citoyens, relayés par les politiques, leur reprochent pêle-mêle : la fermeture accélérée des agences, l’obligation de prendre rendez-vous pour parler à un humain en agence bancaire, la tarification lourde de services jadis totalement gratuits, la segmentation des clients qui pousse les moins nantis à se contenter d’un service bancaire dégradé, et puis, cerise sur le gâteau, l’impression que leur banquier ne joue pas le jeu et refuse de mieux rémunérer leur épargne alors que le coût du crédit, singulièrement des prêts hypothécaires, est en hausse.
Bref, n’en jetez plus, les politiques ont compris ce désamour des citoyens à l’égard des banquiers et ils en jouent. En Italie, en taxant les superprofits des banques italiennes. En Belgique, en concurrençant les banques avec un bon d’Etat qui jouit d’un privilège fiscal honteux, et dans d’autres pays comme les Pays-Bas ou l’Espagne, on songe aussi à rendre gorge aux banques en les taxant davantage.
Bref, la chasse aux profits bancaires a démarré. Comme toujours, pareille démarche populiste est exagérée. Les politiques confondent les situations ou pire encore ne connaissent pas la mécanique bancaire. Si en Italie, la taxation des banques a été mise en place, c’est aussi parce que c’est un pays, comme l’Espagne ou la Grande-Bretagne, où beaucoup de crédit se font encore en taux variables. Autrement dit, lorsque les taux grimpent rapidement et fortement comme c’est le cas depuis 15 mois, les ménages et les entreprises concernées se retrouvent étranglés. Je rappelle qu’une hausse de 1% des taux d’intérêt se traduit par une hausse de la mensualité de 10% !
Mais en Belgique ou en France, la situation est différente. La grande majorité des crédits sont à taux fixe. En clair, lorsqu’il y a une hausse des taux, elle est prise en charge par la banque elle-même. C’est elle qui encaisse la majoration du loyer de l’argent. C’est une autre manière de préserver le pouvoir d’achat immobilier des Belges et des Français. Mais nos banquiers sont incapables d’être didactiques. Ils oublient aussi de dire que si les deux grandes transitions que sont la transition numérique et environnementales sont portées et suscitées par les clients (ménages et entreprises), elles sont aussi accompagnées par ces mêmes banques sans lesquelles, tout cela ne serait pas possible. Au fond, nos banquiers sont souvent de piètres communicants.
Le résultat, il est simple : ils catalysent la colère d’une partie de la population qui en période de crise a toujours besoin d’un bouc émissaire. Ils suscitent des réponses simples (taxation) à des questions complexes (allez expliquez la mécanique de l’ALM à un politique).
Et donc, je prends le pari que notre ministre des Finances, tout auréolé de son succès des 22 milliards d’euros récoltés en 7 jours avec son bon d’Etat, sera trop tenté de refaire le même coup d’ici quelques mois. Tous les politiques, de tous bords, seront avec lui. Venir devant les électeurs avec des cadeaux payés par d’autres, désolé, ce sera trop tentant. Et donc je prends les paris, cela aura lieu. Surtout si l’autorité de concurrence conclut que les banques belges se sont mises d’accord pour ne pas augmenter la rémunération des dépôts, la porte sera alors grande ouverte aux discours et réactions les plus démagogiques. Le crédit par étymologie signifie confiance. Les banquiers ont perdu en partie la confiance des citoyens. Ils doivent relire d’urgence Sir Winston Churchill : « le succès, c’est une somme d’erreurs rectifiées à temps ».
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