Amid Faljaoui
L’entreprise, dernier lieu du « vivre ensemble » en France
La victoire de l’extrême droite en France est aussi l’échec d’Emmanuel Macron.
J’ai quelques amis en France et en Belgique qui ont bien essayé de me faire comprendre que Macron avait joué un jeu subtil et que les élections européennes étaient d’abord un défouloir des Français contre le gouvernement en place. Sous-entendu, face au danger de voir le RN aux portes du pouvoir, les Français voteraient pour la raison lors des législatives. Erreur fatale de jugement.
Avec le recul, la décision de dissoudre l’Assemblée nationale apparaît juste pour ce qu’elle est en réalité : la décision d’un homme seul et coupé des réalités. En clair, un geste narcissique du type “moi ou le chaos”. La seule question qui subsiste aujourd’hui est la suivante : est-ce que le RN aura ou n’aura pas la majorité absolue au Parlement ce dimanche 7 juillet ? Vu de Belgique, le vote pourrait sembler incompréhensible. Car, comme l’expliquent mes confrères des Echos, “le chômage est au plus bas en France, la compétitivité de la France a retrouvé des couleurs, la réindustrialisation est amorcée, la France aligne des entreprises mondiales dans des secteurs aussi différents que le luxe, la banque, l’énergie, le tourisme, l’intelligence artificielle ou l’aéronautique. Et presque 3 millions de Français se sont lancé dans l’entrepreneuriat via le statut d’autoentrepreneurs”. Sachant tout ça, on est en droit de s’interroger : pourquoi ce vote punition ?
La réponse facile consisterait à citer l’écrivain Sylvain Tesson qui disait avec humour que “la France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer”. En réalité, c’est plus subtil que cela… Il n’y a qu’à regarder le bilan d’un président comme Jacques Chirac. Bien sûr, son bilan n’était pas flatteur, il a même été comparé aux rois fainéants, mais à tort ou raison, les Français estimaient que Chirac les aimait et les respectait. Mais ce n’est pas le cas avec Emmanuel Macron jugé trop arrogant, montrant trop facilement sa supériorité intellectuelle et semblant trop proche de l’élite internationale aux yeux de beaucoup de Français. Bref, Macron est jugé hors sol par la plupart de ses compatriotes.
Au final, le vote du dimanche 30 juin était aussi un référendum contre le président. Sinon comment expliquer qu’ils aient voté pour Bardella, un homme qui n’a pas 30 ans, n’a pas décroché de diplôme (dans un pays ou tous les présidents sont diplômés des grandes écoles) et n’a jamais travaillé ailleurs qu’au RN ? Résultat, Macron qui se rêvait en rempart s’est réveillé ce lundi 1er juillet en simple spectateur d’un futur gouvernement qu’il ne pourra pas contrôler avec un tel score. Mes confrères du quotidien économique Les Echos ont raison de dire que Macron lègue aujourd’hui une “France morcelée, antagonisée et surtout radicalisée”.
L’autre gagnant invisible dont les médias n’ont pas trop parlé, c’est Vladimir Poutine qui voit, un peu partout en Europe, ses alliés objectifs arriver au pouvoir. De facto, la guerre en Ukraine ne sera sans doute pas la priorité de Marine Le Pen, vu son passé disons “amical” avec Moscou. Michel Barnier, l’ancien commissaire européen a raison de dire que la France a vécu ce dimanche 30 juin, son “moment Brexit”, autrement dit, une poussée de fièvre populiste qui va affaiblir ce magnifique pays qu’est la France.
Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, le dernier havre de paix en France selon Le Figaro, c’est l’entreprise : alors que la France se polarise comme aux Etats-Unis, qu’il n’y a plus d’institutions pour brasser les populations et les milieux sociaux comme le service militaire ou l’Eglise, le dernier lieu qui peut servir de pont, c’est l’entreprise. Elle est le dernier lieu à rassembler des profils différents, des profils réunis pour leurs compétences et non leurs opinions, des profils réunis autour d’un projet commun. L’entreprise est le dernier lieu du vivre ensemble en France.
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