Bruno Colmant

L’entreprise de demain : le « doughnut management »

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Il y a une vingtaine d’années, de nombreuses entreprises s’interrogeaient sur le fait de donner l’accès à Internet à leurs employés. L’autre question était de savoir s’il fallait imaginer des protocoles afin que les emails suivent un chemin hiérarchique. Car auparavant — et on l’oublie —, il était impossible de s’adresser au chef du chef, ou au responsable d’un autre département, sans respecter un circuit de communication en échelle.

Tout cela est évidemment désuet, car la communication d’entreprise est aujourd’hui une étoile : chacun a accès à tout le monde, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. La première identité professionnelle, qui vaut un contrat d’emploi, c’est une adresse email.

Et tout a été bouleversé. Le CE0 était contractuel : il a dû devenir légitime.

Mais que penser de demain, lorsque toute personne, interne ou externe à l’entreprise, sera capable, sur la base d’informations publiques ou internes à l’entreprise, d’apprécier sa stratégie, ses communications, de les jauger à l’aune de celle des concurrents dont il sera aussi possible d’apprécier le bien-fondé de l’action, de trouver des solutions plus optimales, etc. ? Le CEO sera face aux questions de l’IA formulées par ses subordonnés et par son conseil d’administration, lui-même défié par des actionnaires outillés de l’IA.

Le choix de l’employeur sera lui-même effectué par des grilles de lecture algorithmiques qui mettront un travailleur et son employeur potentiel en alignement… et inversement. Cette large tendance est déjà amorcée puisque les étudiants auxquels j’enseigne en dernière année universitaire créent un réseau d’appréciation d’entreprises informel basé sur toutes les informations et perceptions d’attitudes émanant de ces entreprises. Une entreprise mal gérée ou cynique est écartée.

À l’avenir, la direction des entreprises ne sera plus fondée sur une question de légitimité de l’autorité, mais de sens sociétal et d’intelligence collective.

Et il est très possible que les entreprises de demain ne soient plus hiérarchisées, mais fondées sur la circularité d’un doughnut (en référence à la Doughnut economics) de débats autour de systèmes d’intelligence artificielle. La machine sera au centre du doughnut, et les multiples circuits d’interactions humaines à sa périphérie. Le CEO sera le pacificateur et l’animateur non pas des interactions avec l’IA, mais le fédérateur des optimalités.

L’entreprise était pyramidale, elle est devenue une étoile avant de terminer en émulsion d’intelligence artificielle et de collaborations humaines.

Le « doughnut management » correspond donc à un avenir où les entreprises abandonnent pour partie la hiérarchie traditionnelle pour se tourner vers l’intelligence artificielle afin de mesurer le bien-fondé holistique de leurs décisions. Dans ce modèle, les systèmes d’IA occupent une place centrale, aidant à prendre des décisions éclairées en utilisant des informations internes et externes. La légitimité des décisions pourrait être déterminée par la capacité collective à utiliser efficacement les données et les systèmes d’IA pour prendre des décisions informées.

Le « doughnut management » exigera de repenser fondamentalement le modèle de gouvernance et d’organisation d’entreprises, en plaçant l’IA au centre de leurs opérations et en favorisant une collaboration plus ouverte et transparente entre les humains et les machines. Les entreprises en seront probablement plus agiles et plus malléables à un environnement stratégique en constante évolution.

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