Paul Vacca
L’enfance de l’information
Ce qui manque cruellement aujourd’hui face à la désinformation, ce n’est peut-être pas tant les clefs pour comprendre le monde que l’envie de comprendre.
Picasso a confessé qu’il lui avait fallu une vie entière pour apprendre à dessiner comme un enfant. En revenant à une enfance de l’art débarrassé des postures adultes (la virtuosité ou le savoir-faire), il y voyait le meilleur chemin pour atteindre le vrai. Est-ce qu’une telle leçon pourrait également valoir dans notre façon d’appréhender le monde, de nous informer face à la désinformation galopante?
Tim Harford, économiste, auteur et journaliste au Financial Times, a voulu répondre à cette question. Lui qui, à travers articles et livres, essaie d’aider les adultes à trouver un sens au monde qui les entoure – et surtout comment s’informer avec les chiffres qui décrivent ce monde – a donc relevé ces derniers mois un nouveau défi: faire de même avec un public de jeunes de 9 à 13 ans.
La découverte de Tim Harford
Au départ, cela lui a semblé mission impossible. La plupart des adultes étant déjà assez mal armés face à l’information, quel espoir y aurait-il de réussir auprès des préadolescents? Ne sont-ils pas, par définition, d’une crédulité enfantine, de jeunes cerveaux malléables fatalement moins bien armés dans la jungle de la désinformation?
Ce qui manque cruellement aujourd’hui face à la désinformation, ce n’est peut-être pas tant les clefs pour comprendre le monde que l’envie de comprendre.
Or, la découverte de Tim Harford est justement que cette crédulité, apanage de l’enfance, n’est pas une faiblesse mais une force. Car l’économiste relève un paradoxe: les fake news les plus délirantes qui circulent actuellement se sont imposées non parce que les conspirationnistes sont enclins à croire “n’importe quoi”, mais parce qu’ils ne croient plus “en rien”. Le point commun entre l’épidémie de Covid-19 qui serait manipulée, le vol de l’élection américaine de 2020 ou les Illuminati (pour citer quelques complots en vogue), c’est le rejet de toute croyance dans les médias traditionnels, les revues scientifiques et les institutions.
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Non pas qu’il ne faille jamais les mettre en doute, mais ce doute défensif, dogmatique et intégral concernant tout ce qui est mainstream, qui peut sembler malin et adulte, cache en réalité une capitulation cognitive qui permet d’avaler toutes les absurdités.
Calme, contexte et curiosité
Pour bien s’informer, Tim Harford préconise une approche en trois C: le calme, le contexte et la curiosité. Le calme pour contrer nos réactions émotionnelles qui nous fourvoient hors de la rationalité. Le contexte, parce qu’aucune donnée n’a de sens sans lui. La curiosité, parce que l’étape la plus importante pour comprendre le monde qui nous entoure est déjà de vouloir le comprendre. Trop souvent, nous nous emparons d’affirmations factuelles pour remporter un débat ou marquer notre allégeance à un point de vue, plutôt que parce que nous sommes désireux de mieux comprendre le monde.
Or, les préadolescents sont mieux dotés côté curiosité. Ils ne sont pas encore atteints par cette maladie adulte de “l’ignorance délibérée”, celle qui consiste à ne pas s’interroger parce que les réponses ne nous intéressent pas. Voilà pourquoi les jeunes lecteurs sont souvent mieux équipés que leurs parents pour être des détectives de la vérité. D’où le titre de The Truth Detective choisi par Tim Harford pour son ouvrage.
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Ce qui manque cruellement aujourd’hui face à la désinformation, ce n’est peut-être pas tant les clefs pour comprendre le monde que l’envie de comprendre. En cette période où l’on ne parle que de désinformation, de “chambres d’écho” et de “rabbit holes” conspirationnistes, il n’a pourtant jamais été aussi facile de trouver des pistes pour y parvenir. Mais encore faut-il que nous restions curieux.
Pour Harford, comme il y a une enfance de l’art, il y a donc aussi une enfance de l’information. Peut-être serions-nous alors bien inspirés d’apprendre tous les jours à nous informer comme un préado.
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