Paul Vacca
Le partage de la valeur selon Netflix
Un succès ou même un carton planétaire sur Netflix ne vous ouvre aucun droit de rediffusion ni de vente à l’étranger: cela vous permet, au mieux, de rester à la table de jeu pour continuer aux mêmes conditions…
Dans le film “Get Shorty”, de Barry Sonnenfeld, qui se passe Hollywood et est sorti en 1995, l’un des personnages demande à un agent littéraire quel type d’écriture rapporte le plus. Celui-ci lui répond: “Les notes de rançon!” Une punchline qui prend tout son sens alors qu’aux Etats-Unis, les scénaristes sont en train de “rançonner”, via leur syndicat Writers Guild of America (WGA), les studios et les diffuseurs en se mettant en grève pour la première fois depuis 16 ans.
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Cette grève, comme en 2007, va avoir des conséquences sur l’industrie du spectacle: elle retardera la diffusion (voire fera passer à la trappe) des émissions télévisées à base de scripts comme les Late night shows de Steven Colbert, Jimmy Fallon, etc. (oui, ces programmes sont totalement scénarisés, jusque dans les réponses des invités! ) et des séries télévisées comme Emily in Paris (Netflix), Severance (Apple TV+) ou House of Dragons (HBO) dont les tournages ont été reportés sine die.
Ce qui, au départ, a été vu comme un effet d’aubaine pour le secteur, en raison de la manne financière déversée sur le marché, montre aujourd’hui ses limites.
Une grève qui, par ses répercussions, rappelle à tous une évidence trop souvent oubliée: les auteurs (scénaristes et showrunners) constituent un rouage indispensable à la fabrication d’un film, d’une série ou d’une émission. Sans eux, ceux-ci n’existent pas. Et à ce titre, comme en 2007, les revendications des auteurs portent sur une meilleure prise en compte de leurs efforts au sein de l’écosystème de production, et donc à une meilleure rémunération.
“Business as usual”? Non, car la grève qui a débuté en mai 2023 n’est pas un remake de celle de 2007. Elle serait plutôt ce que l’on appelle un reboot, à savoir une nouvelle version qui, certes, part des mêmes personnages avec des enjeux comparables, mais dans un contexte différent. Le nouveau contexte, c’est évidemment l’apparition des plateformes de streaming (SVoD) qui n’existaient pas en 2007. On sait que Netflix, en lançant House of Cards en 2013, a bouleversé notre façon de consommer les “contenus audiovisuels”.
Ce que l’on sait peut-être moins, c’est que la plateforme a disrupté la façon de rémunérer les parties prenantes: là où les acteurs historiques de la télévision linéaire rétribuent en fonction de l’audience avec la possibilité de vendre les droits pays par pays, Netflix a opté pour le modèle all inclusive, à savoir un forfait payé à l’avance pour tous les pays du monde, et ce quelle que soit l’audience.
Jusqu’à présent, dans le divertissement audiovisuel, régi par le box-office au cinéma ou par l’audience à la télévision, s’appliquait la loi du ruissellement: si un film ou une série faisait gagner des milliards à un diffuseur, ses créateurs était assurés de gagner des millions. En revanche, un succès ou même un carton planétaire sur Netflix ne vous ouvre aucun droit de rediffusion ni de vente à l’étranger: cela vous permet, au mieux, de rester à la table de jeu pour continuer aux mêmes conditions (avec un éventuel bonus). Le partage de la valeur selon Netflix, c’est un forfait pour tous et les bénéfices pour la plateforme.
La question du partage de la valeur risque de devenir toujours plus cruciale à mesure que la grève avance.
Ce qui, au départ,a été vu comme un effet d’aubaine pour le secteur, en raison de la manne financière déversée sur le marché, montre aujourd’hui ses limites. Netflix atteint des sommets de valorisation et fait des bénéfices. Pour preuve, Shawn Ryan, le créateur de The Night Agent, l’un des plus gros succès de la plateforme avec 627 millions d’heures de vue (l’équivalent de l’audience de plusieurs Superbowl), a gagné moins d’argent qu’avec The Shield, une série sans carton d’audience créée en 2002 sur FX, une chaîne du câble naissante.
Si la question du partage de la valeur est devenue centrale dans toutes les entreprises, elle risque de devenir toujours plus cruciale à mesure que la grève avance.
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