Un meurtre, d’abord. Charlie Kirk, militant conservateur américain, a été abattu sur un campus cette semaine. Un drame humain et politique ensuite, qui, dans une démocratie apaisée, devrait appeler à la retenue, au silence, à l’unité.
Mais il n’aura fallu que quelques minutes pour que la machine numérique transforme ce fait tragique en carburant. Elon Musk lui-même, propriétaire de X, a réagi en lançant : « Either we fight back or they will kill us ». Il a même ajouté plus tard : « the left is the party of murder ». Dès cet instant, le deuil a laissé place à la polarisation.
Or, c’est ici que réside l’essentiel : cette polarisation de la société n’est pas une simple réaction émotionnelle. Elle est le fruit direct d’un modèle économique. C’est cela que beaucoup de personnes oublient et que je me permets de rappeler dans cet espace de liberté.
Les plateformes numériques vivent d’un principe simple : elles ne facturent pas leurs utilisateurs, elles les monétisent. Leur produit, c’est notre attention. Leur revenu, ce sont les budgets publicitaires des marques qui veulent capter cette attention. Pour maximiser la valeur, il faut donc maximiser le temps passé et l’engagement.
Dès lors, la logique est implacable : ce qui capte le plus notre attention est ce qui sera poussé par les algorithmes. Et toutes les données convergent : ce qui retient le plus longtemps, ce n’est pas la nuance, ce n’est pas l’information neutre, ce n’est même pas la pédagogie. C’est l’indignation. Oui, sans le savoir, nous sommes entrés dans l’économie de l’indignation.
Plusieurs études ont montré que les messages politiquement polarisants, contenant des termes moralement chargés — « traître », « corrompu », « criminel » — avaient 70 % de chances supplémentaires d’être partagés. D’autres études ont confirmé que la probabilité d’un retweet augmentait à chaque mot de ce type. En clair : l’algorithme a appris que l’indignation est rentable.
C’est en quelque sorte un modèle d’optimisation de nos colères. Comme une salle de marché teste des arbitrages, les plateformes testent nos réactions. Chaque clic, chaque partage, chaque commentaire est analysé. Et ce qui déclenche le plus de signaux est amplifié. Pas parce que c’est vrai. Pas parce que c’est juste. Mais parce que c’est efficace en termes de business.
Dès lors, le meurtre de Charlie Kirk devient un cas d’école. Il s’agit d’un fait réel, dramatique, immédiatement polarisant. Les réactions se multiplient. Chaque réaction est un signal algorithmique. Le contenu est poussé plus largement. Le débat se transforme en affrontement. Et chaque minute supplémentaire passée en ligne se traduit en revenus publicitaires.
Voilà pourquoi il est réducteur de ne voir dans cette escalade que le reflet d’une société hystérique. En réalité, c’est la conséquence logique d’un modèle économique : la polarisation comme levier de croissance des réseaux asociaux.
Mais si cette stratégie est efficace à court terme, elle est destructrice à long terme. Pour la démocratie, bien sûr, mais aussi pour les entreprises elles-mêmes. Car un modèle qui repose sur la colère finit par épuiser la confiance. Et sans confiance, il n’y a ni clients fidèles, ni salariés engagés, ni investisseurs stables.
Le meurtre de Charlie Kirk nous rappelle donc une vérité dérangeante : les réseaux sociaux n’ont pas seulement transformé nos manières de communiquer. Ils ont industrialisé nos colères. L’indignation n’est plus un symptôme. C’est un produit. Et ce produit est aujourd’hui au cœur d’un business model mondial, dont les victimes ne sont pas seulement des individus, mais la qualité même du débat public.
La vraie question n’est donc pas de savoir qui a raison politiquement, mais qui profite économiquement de ce chaos. Et tant que cette rentabilité existera, tant que l’indignation sera plus « bankable » que la nuance, elle dominera l’espace numérique.
C’est donc à nous, dirigeants, cadres, communicants, décideurs politiques, de ne pas fermer les yeux. La raison ? Nous sommes tous, par nos budgets de pub, nos choix de communication, nos usages, des parties prenantes de cette économie. Et la responsabilité ne se limite plus aux plateformes : elle nous concerne directement.