Paul Vacca
Le club fermé des oligarques
Dans son roman “Le Mage du Kremlin”, Giuliano da Empoli raconte, par la voix de son narrateur, les années de frénésie capitaliste post-soviétique où les oligarques russes prirent leur envol.
Une période folle où régnait l’exaltation punk des débuts. Où “vous pouviez sortir acheter des cigarettes et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet de Courchevel, à moitié nu entouré de beautés endormies”. Où les futurs oligarques dépecèrent entre eux les actifs de l’ancien Etat soviétique et s’emparèrent du pouvoir.
Mais comme le note Simon Kuper dans un article du Financial Times (“How to be an oligarch”) consacré à la figure de l’oligarque, celle-ci ne se limite pas, comme on le pense trop souvent, à l’après-URSS. L’oligarque constitue un sociotype quasi éternel déjà défini par Aristote, il y a 2.500 ans: “Partout où les hommes gouvernent en raison de leur richesse qu’ils soient peu nombreux ou nombreux, nous sommes face à une oligarchie”. Et aujourd’hui, cette figure archétypale prolifère dans le monde entier aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est.
C’est à la faveur des périodes de chaosque surgissent les oligarques. C’est aussi par le chaos qu’ils périssent.
L’oligarque d’aujourd’hui, selon la définition de David Lingelbach et Valentina Guerra, les deux auteurs de The Oligarchs’Grip, est “quelqu’un qui s’assure ou reproduit la richesse ou le pouvoir en transformant l’un en l’autre”. Pour répondre à ce modèle, il ne suffit pas d’être un magnat: on peut être un homme d’affaires hyper-riche sans exercer de pouvoir politique manifeste. Elon Musk, par exemple, serait passé du statut de magnat à celui d’oligarque en raison de son acquisition de Twitter (mais aussi via ses satellites Starlink impliqués dans la guerre en Ukraine).
En raison des effets conjugués de la mondialisation, du développement d’internet et de la prolifération des médias privés, on assiste à une extension du domaine de l’oligarchie avec une vaste typologie d’acteurs. Il y a les “oligarques économiques” qui, à l’instar de Musk ou feu Silvio Berlusconi, transforment leur richesse en pouvoir politique. Il y a les “politiques” qui font l’inverse, comme Vladimir Poutine qui peut être défini comme un “milliardaire doté du pouvoir nucléaire”. Il y a les “influenceurs” comme Rupert Murdoch ou George Soros qui ont leurs agendas politiques. Et les “virtuels”, les nouveaux venus comme Mark Zuckerberg ou Larry Page, propriétaires des plateformes où d’autres oligarques peuvent développer leurs programmes.
Il faut aussi faire avec un autre membre du club: celui qui est devenu le 45e président des Etats-Unis. Simon Kuper montre que Donald, le fils d’un riche New-Yorkais, Fred Trump, a toujours développé un ethos oligarchique: en transformant son argent (ou celui des autres) en pouvoir et inversement en comptant convertir son pouvoir en argent. Une chaîne de Ponzi à lui tout seul. Même son rôle dans la prise d’assaut du Capitole du 6 janvier 2021 a des relents oligarchiques. Car enrôler une soldatesque pour son propre compte, c’est ce que faisaient déjà les oligarques romains. Au rang desquels Jules César lui-même qui, aidé par le richissime Crassus, a franchi le Rubicon en 49 avant J.-C., détruisant la République avec ses mercenaires.
C’est à la faveur des périodes de chaos que surgissent les oligarques. C’est aussi par le chaos qu’ils périssent. Car plus que tout être humain, ils sont soumis aux lois de la pesanteur comme en témoignent les différentes défenestrations ou pendaisons “inattendues” auxquelles nous avons assisté récemment. Alors, à peine entré dans le club, à la question de savoir comment maintenir son pouvoir et sa fortune, l’oligarque se demande comment le faire tout en restant en vie.
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