Eddy Caekelberghs
L’art de la guerre, un art d’influence
L’art d’envisager la guerre est un art d’influence d’abord, avant d’être une réalité létale sur le terrain. C’est Hitler menaçant les Sudètes, partie de la Tchécoslovaquie. C’est aujourd’hui la parole de Macron qui n’exclut “aucune dynamique (entendez ‘intervention de troupes’) sur le terrain” ukrainien. Mais des mots suffisent-ils à créer une dissuasion crédible ? En tout cas le tollé soulevé fait voler l’image de leader en éclats. Quel en est le bénéfice ?
Faire pression sur le chancelier allemand ? C’est l’avis, en Finlande, du quotidien Kauppalehti : “Macron veut augmenter la pression sur l’Allemagne, car Scholz n’a toujours pas donné son accord à l’envoi en Ukraine des puissants missiles de croisière Taurus. Les experts dénotent une pugnacité croissante dans les initiatives de Macron. A l’issue de la conférence, Macron a déclaré : ‘Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre’. On se demande si l’Allemagne en fait assez.” Et, en effet, la publication de conversations secrètes “volées” entre hauts gradés militaires allemands à propos de ces missiles Taurus (portée 500 km au moins) vient à l’appui de cette thèse. Mais ceci ajoute à la cacophonie européenne à l’heure où une défense commune est évoquée en urgence par les 27 puisque – de manière avérée – elle est notre principal talon d’Achille.
Les mots sont des armes. Les charger à blanc comporte le risque d’être abattu.
Un post du politologue Vladimir Pastoukhov relève une autre faille possible sur laquelle Moscou joue : “Les dirigeants ukrainiens jouent la carte de la persévérance de leurs troupes dans ce qui est devenu une guerre de tranchées, attendant que l’opinion occidentale et ses représentants changent d’avis et se remettent à fournir à l’Ukraine les armes nécessaires non seulement pour stabiliser le front, mais aussi pour permettre une seconde contre-offensive. Une stratégie qui n’est pas sans risques. En cas de temps mort entre la pression exercée par l’armée russe et les aides occidentales, l’attentisme de Zelensky pourrait entraîner un effondrement du front. Dans ce scénario, des négociations d’armistice seraient menées dans des conditions radicalement différentes, avec le Dniepr comme ligne de démarcation.” Sans compter avec les tensions de plus en plus fortes entre Polonais et Ukrainiens sur fond d’accusations polonaises de dumping ukrainien en matière notamment de transport international routier sous couvert de la guerre. Bref : dissonance !
Le pire, c’est que le propos musclé de Macron a été livré sans concertation préalable, exposant publiquement les lignes de fractures entre Européens. En Roumanie, la presse rappelle qu’une décision de cette ampleur “se prend au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, et de toute évidence pas avant la passation de pouvoir à la tête de l’Otan et les résultats de la bataille électorale aux Etats-Unis”. En effet, Trump n’en demandait pas autant. Poutine non plus d’ailleurs …
Et c’est bien le drame : la cacophonie soulignée en Allemagne par Zeit Online met le divorce franco-allemand au premier plan : “Car en face du Français belliciste et impétueux, le chancelier allemand fait figure de gestionnaire qui refuse obstinément de livrer des missiles Taurus à l’Ukraine. D’un côté la superbe du Français, de l’autre la fadeur de l’Allemand. Ni l’un ni l’autre n’aide l’Ukraine”. Faire voler en éclats le supposé moteur européen Paris-Berlin est une chose. Briser le pacte de réconciliation atlantique européen en est une autre ! En clair : les mots sont des armes. Les charger à blanc comporte le risque d’être abattu. C’est tout l’art martial de la parole !
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