Paul Vacca
Le labyrinthe ou l’art de se perdre
Qui ne se sent pas déboussolé dans ce monde toujours plus complexe ? Qui n’est pas noyé sous le déluge toujours plus assommant d’informations ? Pour cela, un livre peut nous aider : Les Labyrinthes (éditions Bouquins), un essai écrit sous la direction de Malek Abbou, essayiste et romancier, qui nous invite à l’exploration de la figure mythique et fascinante du labyrinthe. A travers ses croix et ses chevrons, ses méandres et ses spirales, ses nœuds et ses bifurcations, il est un antidote parfait pour nous faire oublier le brouhaha informe de notre époque.
S’y plonger, c’est se laisser happer dans les entrelacs de ce motif universel et intemporel qui, depuis des temps immémoriaux, s’est décliné au fil des époques jusqu’à notre ère numérique en jeux, jardins, prisons, forteresses, chemins de pénitence, parcours de procession, formations militaires, espaces de flânerie méditative, terrains de jeux libertins, architectures funéraires ou initiations ésotériques… C’est découvrir aussi la fécondité de ce thème comme archétype vivace et séminal dans tous les arts : sculpture, peinture, architecture, musique, danse, littérature, cinéma et évidemment dans les jeux vidéo. Le labyrinthe, c’est le fil d’Ariane qui relie le mésopotamien à Lara Croft.
L’enfermement est la condition même de l’affranchissement, de même que l’égarement est le préalable nécessaire à toute reconquête de soi.
L’on découvre chemin faisant que cette omniprésence du motif labyrinthique ne doit rien au hasard. Sa forme fractale est inscrite au plus intime de notre constitution humaine : physiologique, dans notre système sanguin avec son maillage des veines et de vaisseaux, dans les ramifications de notre appareil pulmonaire ou digestif, comme dans les connexions synaptiques de notre système nerveux ; mais aussi psychologique dans nos flux de conscience souvent erratiques ou les méandres de notre inconscient. De même que cette forme a pris possession de tous nos espaces de vie : de nos métropoles tentaculaires au cosmos en pleine expansion “big bangesque”.
Au fil des pages et des siècles, on suit l’évolution de ce motif protéiforme qui épouse les mutations et les ruptures épistémologiques successives de notre perception du monde : du labyrinthe unidirectionnel des temps anciens, religieux et mystiques, on est passé aux dédales et leurs chemins multiples des temps modernes pour arriver aux rhizomes, forme ultime du labyrinthe de nos temps postmodernes et quantiques dont le centre est partout et la circonférence nulle part, ne possédant ni intérieur ni extérieur, parfaite illustration de la toile numérique qui nous enserre.
Avec les auteurs pour guides, on s’achemine dans tous les coins et recoins de ce lieu tortueux conçu à dessein pour désorienter et perdre, gagné par le frisson gothique de l’enfermement dans le côté obscur de la force. Toutefois, le livre parvient à en dégager son versant solaire, illuminant par ses multiples exemples la dynamique paradoxale qui est l’essence même du labyrinthe : car l’enfermement est la condition même de l’affranchissement, de même que l’égarement est le préalable nécessaire à toute reconquête de soi. Il est de fait le parent de la sérendipité : tout eurêka n’est-il pas consécutif à une traversée d’un labyrinthe intime ? A se demander du reste si toute success story n’est pas finalement la résultante d’un nécessaire cheminement dédaléen…
A ce titre, “Les Labyrinthes” est en parfaite symbiose avec son sujet : à mesure que l’on s’égare avec bonheur dans son érudition foisonnante, il nous propose au détour de chaque page des échappements lumineux et des rapprochements étincelants. Grâce aux vertus de sa pensée labyrinthique, le dédale du monde nous devient tout à coup plus passionnant ; et notre horizon soudain s’élargit. Finalement, on a beaucoup à gagner à savoir se perdre. z
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici