Amid Faljaoui

L’Arabie Saoudite sous protection d’un parapluie en… papier

En quête d’un parapluie nucléaire face aux incertitudes américaines, Riyad s’allie au Pakistan. Un pacte plus politique que militaire, qui rassure à court terme mais pourrait s’avérer un pari risqué.

Imaginez la scène : le 9 septembre dernier, Doha est frappée par des missiles israéliens. On parle bien de la capitale du Qatar, un allié stratégique des Américains. Et Donald Trump, alors président, ne réagit pas. Silence radio. Vous imaginez le choc dans les palais du Golfe ? La question s’est imposée immédiatement : et si le parapluie militaire américain, celui qui devait les protéger, n’était plus aussi sûr qu’avant ?

Alors, que fait l’Arabie saoudite pas plus tard que fin de la semaine dernière ? Elle annonce un pacte de défense avec… le Pakistan. Oui, le Pakistan. Un pays en crise, étranglé par sa dette, mais qui a une carte maîtresse : c’est le seul pays musulman officiellement doté de l’arme nucléaire. Officiellement, on parle d’un accord militaire classique, d’échanges de formation, de coopération. Mais personne n’est dupe : dans l’air plane l’idée d’un “parapluie nucléaire”.

Cette relation ne date pas d’hier. Retour en 1998 : le Pakistan teste sa bombe atomique, et bam! sanctions occidentales. Comment Islamabad survit ? Grâce à Riyad, qui livre gratuitement 50 000 barils de pétrole par jour. Et si on remonte encore plus loin, dès les années 1970, le Premier ministre pakistanais Zulfikar Ali Bhutto allait frapper à la porte du roi Fayçal pour financer son rêve nucléaire. Bref, il y a une histoire commune, faite d’intérêts croisés.

Mais aujourd’hui, c’est l’économie qui tient les ficelles. Du côté pakistanais, c’est une question de survie : le pays ne tient debout que grâce aux fameux rollovers. Concrètement, ça veut dire que ses créanciers — l’Arabie, les Émirats, parfois la Chine — prolongent encore et encore leurs prêts au lieu d’exiger un remboursement immédiat. Sans ça, le pays serait en faillite.

Sur le papier, Riyad affiche de la force. Mais dans la réalité, l’Arabie prend un risque : fragiliser son image de partenaire stable au moment précis où elle a besoin de rassurer les marchés pour financer Vision 2030.

Du côté saoudien, l’enjeu, c’est Vision 2030. C’est le grand plan de Mohammed ben Salmane pour sortir l’Arabie de sa dépendance au pétrole et attirer des investissements massifs dans le tourisme, la tech, le divertissement. Pour réussir, il faut une chose : montrer que le royaume est stable, protégé. D’où l’intérêt de signer un pacte qui, même vague, envoie un signal aux investisseurs comme aux adversaires.

Le problème, c’est que ce pacte ressemble beaucoup à un bluff. Parce qu’un parapluie nucléaire pakistanais, ça n’existe pas vraiment. Il n’y a ni plan opérationnel commun, ni commandement intégré, ni véritable garantie. C’est du politique, pas du militaire. Et ce bluff peut avoir un prix. L’Iran pourrait s’en servir pour justifier l’accélération de son propre programme nucléaire. L’Inde, qui achète une bonne partie du pétrole saoudien, pourrait mal le prendre et resserrer encore plus ses liens avec Israël et les États-Unis (ce qui semble être déjà le cas au vu de l’actualité récente). Quant à Washington, il n’a pas oublié l’affaire Abdul Qadeer Khan : ce scientifique pakistanais qui, dans les années 80 et 90, avait monté un véritable supermarché nucléaire clandestin en revendant des technologies sensibles à l’Iran, à la Libye ou à la Corée du Nord. Résultat : la méfiance est toujours là, et ce pacte peut la raviver.

Sur le papier, Riyad affiche de la force. Mais dans la réalité, l’Arabie prend un risque : fragiliser son image de partenaire stable au moment précis où elle a besoin de rassurer les marchés pour financer Vision 2030. Quant au Pakistan, il gagne un peu d’air, mais au prix d’une exposition accrue aux sanctions et d’une réputation qui pourrait redevenir toxique.

En économie comme en géopolitique, il y a une règle simple : les assurances trop belles pour être vraies sont souvent des produits toxiques. Ce pacte, c’est peut-être une assurance psychologique à court terme. Mais c’est aussi, potentiellement, un pari explosif.

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