Bruno Colmant

L’année 2024 se jouera le 5 novembre 2024

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

L’événement le plus décisif de l’année 2024 sera l’élection possible de Donald Trump pour un second et, qui sait, plusieurs mandats, tant les risques de déstabilisation institutionnelle de ce qui risque de ne plus être la première démocratie du monde sont présents.

Ce sera un mardi. Le 5 novembre 2024.

Donald Trump n’a jamais été une coïncidence de l’histoire ni son aboutissement. Si, aux yeux de certains commentateurs américains, les États-Unis sont en phase prérévolutionnaire (et il ne faut pas voir le mot révolutionnaire à l’aune d’événements passés, mais plutôt de rupture), c’est parce que c’est un pays malade de son individualisme qui conduit à apeurer ses citoyens dans la crainte du déclassement social en l’absence de protection collective, phénomène particulièrement bien décrit dans les ouvrages de Douglas Kennedy.

C’est un système d’inspiration protestante qui mesure les œuvres de son élection, divine ou autre, à l’aune de ses propres succès financiers. Ce système alimente évidemment les braises de la violence sociale, puisqu’elle s’est (ou fut) combinée à des stratifications sociales terribles, comme la ségrégation.

Les États-Unis ont toujours exporté cette violence interne par des guerres menées lointainement dans la conviction de leur suprématie idéologique qui a conduit à la dichotomie entre le bien et le mal. Cette moralisation de leur système découle des convictions du Président Woodrow Wilson (Président de 1913 à 1921) qui théorisait que les États-Unis étaient la terre promise de ceux qui la méritaient.

Une exaspération sociale et une désespérance sociétale, qu’elle a d’ailleurs contribué à révéler, tempêtent et se déchaînent sur le sol américain. La réalité américaine apparaît crûment, comme pour arracher aux yeux de tous, d’un seul geste, l’éblouissante écorce façonnée par le pays à travers la diffusion de son modèle cinématographique. De l’autre côté de l’Atlantique, la vie est dure, extrêmement rude. Il n’y a pas de filet social pour amortir les chocs économiques qui, comme en 2008, abattent des populations socialement à la dérive. Les tensions raciales, qui ont toujours été exacerbées (souvenons-nous des émeutes de 1992 lors de l’affaire Rodney King), trouvent leur contrainte dans une réalité policière moins sympathique que celle de Starsky et Hutch, série policière culte des années 1970. Les addictions (opioïdes, alcool, etc.) font des ravages à telle enseigne que l’espérance de vie des blancs, pourtant traditionnellement (et scandaleusement) plus élevée que les autres, stagne ou baisse. Les grandes villes du Midwest sont devenues de dangereux chancres. En simplifiant, si on enlève deux bandes de 50 kilomètres des côtes Est et Ouest, on obtient un pays qui, malgré une santé économique globale florissante, voit ses inégalités sociales s’aggraver et entretenir l’idée que la globalisation a escamoté l’emploi et soufflé la flamboyance industrielle d’après-guerre.

Il faut avoir vécu ou étudié dans ce pays pour le savoir : les États-Unis restent une contrée de pionniers relayant une vision prédatrice du progrès et de l’enrichissement. Il ne faudrait pas oublier que ceux qui ont forgé cette nation furent les exilés de mondes qui ne voulaient plus d’eux. Ils ont dû se frayer un chemin dans des contrées hostiles au prix d’une conquête qui ne s’est jamais apaisée. Leur économie reflète cette réalité : leur monnaie et leur armée semblent seules garantes de leur suprématie.

Aujourd’hui, après tant d’échecs et l’émergence de puissances antagonistes (Russie, Chine, nombreux pays arabes), les États-Unis deviennent isolationnistes et internalisent leur violence sociale, ce qui renforce une dualisation de la société, elle-même écartelée par un système économique de plus en plus prédateur et inégalitaire.

C’est tout cela qui a créé Donald Trump, l’antithèse des réalités sociales. Il est l’aspiration virtuelle de ce que les Américains ne sont plus.

Son élection serait l’écho des néo-évangélistes. Et tout serait bouleversé : les droits des femmes et des minorités, le respect de la nature, les tentatives d’apaisement social, le système judiciaire, et la démocratie. La politique extérieure serait, quant à elle, non seulement isolationniste, mais vindicative.

Et, dans le domaine financier, après une jouissance boursière éphémère, un jour, le dollar serait mis en péril, tant sa suprématie est, chaque jour un peu plus, injustifiée.

Finalement, tous les systèmes politiques et les empires s’effondrent un jour d’eux-mêmes, dans de longs et puissants mouvements de l’histoire : marxisme-léninisme, communisme, néolibéralisme, etc.

Tout se jouera le 5 novembre 2024. Et si Donald Trump ne peut pas se présenter aux élections, ce seront des foyers de guerre civile qui émergeront, comme dans les années 70. L’armée a dû intervenir. Et, comme disait le philosophe Vladimir Jankélévitch : il faut penser tout ce qu’il y a de pensable dans l’impensable. Pour regarder l’avenir sans ciller.

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