Eddy Caekelberghs
L’agriculture, un modèle sous tension
Nos agriculteurs sont en colère. Ils sont inquiets. Depuis des mois et des années, ils insistent pour qu’on ne les mette plus – ou pas plus – en concurrence (déloyale) avec d’autres parties du monde. Dans leur viseur : l’accord Mercosur. Ils en dénoncent et le contenu et le calendrier. La Commission européenne (von der Leyen I) poussant à l’augmentation des importations de viande bovine et d’autres produits agricoles en provenance des pays du Mercosur. Alors qu’au même moment, nos producteurs nous disent : ces pays et leurs exploitations ne sont pas soumis aux mêmes normes encadrant la production.
Des normes inférieures aux nôtres, une viande qui va débouler sur nos marchés et tirer les prix vers le bas, tout en provoquant une production de plus en plus massive de viande, au risque d’augmenter la déforestation. Et voilà comment nos paradoxes tuent la crédibilité de nos politiques. Paupérisation de nos indispensables acteurs agricoles et disparition de nos indispensables poumons verts de la planète, dont nous avons tant besoin pour lutter contre le réchauffement climatique. Sans compter l’empreinte carbone d’une viande à bas prix, sans répercussion sur les prix réels demandés au consommateur. Et nous devrions étendre le sujet à d’autres secteurs de produits manufacturés de toutes sortes, vendus dans de grandes chaînes ici, à prix écrasés.
“C’est l’heure du choix. Green Deal ou libre-échange sans foi ni loi, l’Europe doit choisir. Nos agriculteurs ne peuvent être soumis à des injonctions contradictoires les sommant de respecter des standards de production plus élevés, tout en étant concurrentiels avec des productions encadrées par des normes plus laxistes. L’Europe doit sortir de ses incohérences schizophréniques et nous donner les moyens de sauver nos fermes et leur transition !” Tels sont les termes de l’interpellation lancée par les fermiers en direction d’une présidente de la Commission européenne qui s’apprête à tourner la page d’un Pacte vert dont elle avait tellement vanté les mérites pendant son premier mandat. Cela se ressent dans ses déclarations et celles de ses futurs commissaires, actuellement en phase d’examen devant le Parlement européen.
Voilà comment nos paradoxes tuent la crédibilité de nos politiques
“Pour éviter un embrasement des campagnes, nous attendons des actes forts des autorités européennes. Le premier est clair : stopper les négociations de l’accord UE-Mercosur. Nous ne nous laisserons pas enfumer par des indemnisations ou des clauses-miroirs incomplètes et impossibles à contrôler”, poursuivent les communiqués des fédérations agricoles. Et c’est tout le secteur européen qui bouillonne et déboule à Bruxelles pour crier son indignation.
Déjà en 2021, Paul Magnette (alors auréolé d’avoir pu mettre un terme à l’accord CETA) déclarait : “L’Union européenne doit renoncer à son projet d’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur et élaborer une politique commerciale du ‘juste-échange’.” Accompagné de l’ancien ministre français de l’Écologie Nicolas Hulot et de l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann, il s’adressait ainsi par courrier à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Près de quatre ans plus tard, rien n’est réglé. Et pourtant, il y a eu le covid et la guerre en Ukraine. Et une conscience accrue que nos dépendances au marché globalisé étaient l’une de nos plus grandes faiblesses dans un monde où la sécurité alimentaire (la nôtre) n’est pas assurée si demain – probablement – l’Asie, l’Europe centrale ou d’autres régions productrices (céréalières, vivrières et animalières) se retrouvent en guerre ou en état de spéculer encore plus sur les stocks de la planète. Les entendra-t-on ?
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