Paul Vacca
L’âge d’or des génies en série
Comme le raconte Peter Biskind dans son dernier ouvrage Pandora’s Box (Allen Lane), l’auteur de série Tom Fontana vécut le rêve ultime de tout scénariste TV.
Au milieu des années 1990, alors qu’il travaille pour les networks américains, il se voit proposer par la chaîne à péage HBO un contrat d’un million de dollars pour développer une série dont l’action se déroulerait dans une prison américaine. Mais le meilleur est à venir car le producteur de la chaîne lui pose cette question: “Quelle est la chose que les chaînes de télévision classiques ne vous ont jamais autorisé à faire jusqu’à présent?”. Fontana répond: “Tuer le personnage principal dès le premier épisode”. Son commanditaire chez HBO lui lâche alors: “Faites-le!”
Tous les miracles créatifs se nourrissent de bras de fer et de conflits souvent épiques entre exigences et convictions personnelles.
Ainsi naquit en 1997 la série Oz qui plongea les spectateurs dans l’enfer du quartier pénitentiaire d’Oswald et son unité pilote Emerald City, marquant un tournant dans l’histoire des séries. HBO poursuivra l’exploration hors des sentiers de la télévision classique en célébrant l’amitié de quatre femmes qui devisent librement de leur libido et de leurs manolos dans New York avec Sex and the City ou révélant les tourments freudiens d’un mafieux dans le New Jersey avec Les Sopranos. D’autres chaînes du câble leur emboîtèrent le pas: AMC avec les affres d’un publicitaire de Madison Avenue dans la société de consommation naissante dans Mad Men ou la plongée dans le trafic de drogue et le crime d’un professeur de chimie pour assurer l’avenir financier de sa famille avec Breaking Bad. Showtime se mettra dans les pas d’un sérial killer justicier avec Dexter… Peter Biskind raconte les deux décennies de bouillonnement créatif qui s’ensuivirent et qui donnèrent naissance à ce qu’il appelle les “discomfort shows”, les “séries inconfortables”: tout simplement l’âge d’or de la série.
Peter Biskind était tout désigné pour décrire cet âge d’or puisqu’il l’avait déjà fait pour le cinéma dans son ouvrage intitulé Le Nouvel Hollywood, publié en 1998. Il y racontait comment, dans les années 1970, les studios hollywoodiens, pour espérer éviter leur mort annoncée face à l’explosion du média télévision, avaient dû se réinventer en investissant les codes narratifs d’une nouvelle génération. Ainsi vit le jour le “Nouvel Hollywood” avec des réalisateurs comme Scorsese, Coppola, Polanski, Spielberg, etc., et des producteurs comme Robert Evans.
De la même façon, pour espérer survivre face à aux grands networks TV, les opérateurs du câble furent 20 ans plus tard dans l’obligation de réinventer les codes de la série avec leurs programmes: le seul moyen de séduire des abonnés et de les fidéliser. Un vent de renouveau souffla alors libérant l’esprit pionnier de nouveaux showrunners tels que Tom Fontana, Darren Star, David Chase, Vince Gilligan ou Matthew Weiner.
Les genèses de ces séries devenues mythiques racontées par Peter Biskind sont aussi addictives que les séries elles-mêmes. Pleines de rebondissements et de suspense, elles offrent au passage deux belles leçons pour approcher le mystère des succès. D’une part, elles nous montrent que ceux-ci ne naissent pas avec des chèques en blanc ou des cartes blanches aux créateurs, si géniaux fussent-ils. Tous les miracles créatifs se nourrissent de bras de fer et de conflits souvent épiques entre exigences et convictions personnelles. Et d’autre part, elles prouvent que ce l’on appelle “génie” est en réalité l’émanation d’un collectif. Car si les réalisateurs ou les showrunners ont pu accéder au statut de génies, c’est bien parce que leurs producteurs au premier chef (et les équipes autour) furent eux-mêmes suffisamment géniaux pour qu’ils puissent le faire.
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