De ma maîtrise en fiscalité, certes ancienne, j’avais retenu qu’un impôt doit être consenti, lisible, et surtout que son coût de mise en place et de vérification soit inférieur à ses recettes. Et, pour ce dernier point, j’ai de très grands doutes : la taxe sur les plus-values sera un cauchemar, s’il est possible de la mettre correctement en œuvre.
Pour les entreprises non cotées, il conviendra de déterminer une valeur de départ, et c’est évidemment impossible, puisque la valeur n’est pas débattue de manière contradictoire, comme sur une bourse de valeurs, foi d’un ancien Président de la Bourse de Bruxelles. Les premières moutures d’une circulaire ont filtré dans la presse, mais c’est un égarement complet, qui va conduire à des milliers de contestations et recours divers, y compris ceux qui vont interpeller la Cour constitutionnelle. J’y ai consacré ma chronique de la semaine passée.
Et pour les sociétés cotées, ce seraient les banques qui devraient, pour les titres déposés sur des comptes belges, calculer et retenir cette taxe sur les plus-values, sachant qu’on peut avoir plusieurs comptes-titres dans différents établissements, avec, pour certains, des plus-values, et pour d’autres, des moins-values : l’agrégation devrait être alors faite par le fisc, avec toutes les difficultés de mise en œuvre, puisqu’une exonération de 10 000 euros de plus-values est prévue. Et les banques devront vérifier depuis quand est un titre est détenu puisque les plus-values réalisées sur des titres détenus au moins 10 ans seront exonérées. Je ne crois d’ailleurs pas à cette exonération de dix ans : l’État belge n’est, dans ce domaine, pas fiable. Mais, plus généralement, les hasards de la vie m’ont conduit à diriger plusieurs banques : les directeurs de l’informatique de ces institutions vont rapidement jeter le gant.
Pour les titres nominatifs et autres valeurs gérées à l’étranger en toute légalité, l’impôt ne sera évidemment pas retenu par des banques belges, mais sera déclaratif, c’est-à-dire perçu lors de l’enrôlement. Et quand bien même serait-ce possible, comment les banques vont-elles calculer cet impôt, puisqu’un même titre peut faire l’objet d’achats et ventes multiples, sans qu’on sache sur quelle transaction on retient un impôt ? Il semble que la règle FIFO (First In, First Out) soit d’application, mais évidemment par compte titre. Cela signifie que si le même titre est détenu, acquis et vendu sur deux comptes-titres différents, on peut avoir des résultats très différents pour la même réalité économique.
Mais il y a d’autres préoccupations : imaginons que, mécontent des services d’une banque, un actionnaire transfère un titre du compte-titre de la banque A (dont il est mécontent) à la banque B (dont il espère un meilleur service) : ce transfert sera-t-il assimilé à la réalisation d’une plus-value si le titre concerné dégage, en l’espèce, une plus-value non réalisée puisqu’il est simplement déplacé d’une banque à une autre ? Ce serait impensable. Et que penser des circonstances, très fréquentes, des donations : si un actionnaire décide de procéder à une donation, est-ce que la taxation sur les plus-values éventuelles s’ajoute à l’impôt sur les donations, ou pas ? Et la même question se pose évidemment en matière d’héritage ? Et d’ailleurs, on verra introduire des recours au motif que deux impôts pourraient alors viser la même matière fiscale, en violation du principe de non bis in idem, c’est-à-dire qu’on ne peut pas être taxé deux fois au même impôt sur la même matière.
Au reste, cette taxe sur les plus-values s’ajoutera à la taxe sur les comptes-titres que j’ai inventée en 2017 en substitution à une taxation des plus-values. De surcroît, les plus-values sont déjà taxées en Belgique, et ce de plusieurs manières : à 25 % à l’impôt des sociétés (ISOC) et à un taux de 30 % via la taxe Reynders (précompte mobilier 19 bis sur les SICAV de capitalisation), et à un taux variant entre 0,12 % et 1,32 % tant à l’achat qu’à la vente via la taxe sur les opérations de bourse (TOB).
Un mot, d’ailleurs, sur cette taxe sur les comptes-titres. En 2007, lorsque j’étais le Directeur de Cabinet de Didier Reynders, ce dernier m’avait lapidairement demandé de réfléchir à une taxation des plus-values sur titres, car il m’avait dit qu’un jour, la question se poserait. J’ai donc, à bas bruit et scrupuleusement, réfléchi à cette question, avec recherches et raisonnements, et étais arrivé à la conclusion qu’il valait mieux taxer l’évolution latente d’un portefeuille de titres à un impôt minime, plutôt que de se concentrer sur un acte juridique de réalisation de ces titres. Et, lorsque Charles Michel m’a convoqué en 2017 pour lui trouver une solution, elle était prête. Je l’avais qualifiée de taxe d’abonnement, terme que la presse a fugacement repris, avant qu’elle soit qualifiée de taxe sur les comptes-titres, dont le rendement épouserait les fluctuations de la bourse sans jamais voir son rendement tomber à zéro. Je maintiens que c’était la meilleure solution. Ce qui est aujourd’hui invraisemblable, c’est que le gouvernement veuille taxer les plus-values réalisées, tout en conservant la taxe sur les comptes titres, ce qui constituerait un cas flagrant de double imposition puisqu’on taxerait les mêmes plus-values latentes et réalisées. C’est tellement vrai que lorsque la taxation des plus-values fut débattue lors des négociations gouvernementales, il fut question de déduire la taxe sur les comptes-titres de la taxation des plus-values, ce qui me semblait une bonne idée, avant d’être oubliée.
Si cela ne suffisait pas, Febelfin, qui est l’organe du secteur bancaire, vient de mentionner publiquement que le calendrier pour l’introduction de cette taxe n’est pas réaliste et qu’il est impossible aux banques d’être opérationnelles avant le 1er janvier 2026. Et Dieu sait combien Febelfin fait tout pour ne pas contrarier le ministre des Finances, ce que j’ai observé à l’été 2017 avec la taxe sur les comptes-titres.
Sans compter sur le fait qu’il faudra déclarer les plus-values sur l’or, les cryptomonnaies, etc. Prenons, d’ailleurs, le cas de l’or : toute vente d’or physique devra être soumise à un impôt de 10 % en cas de vente, sur base du cours de l’or au premier janvier 2026. Mais alors, comment respecter la règle FIFO si un particulier achète et vend régulièrement des pièces d’or alors que ces dernières sont fongibles ? Laquelle est-elle vendue ? La première ou la dernière, sachant que ce sont les mêmes ? Et qui va faire ces calculs ? C’est, sous l’angle de l’arithmétique élémentaire, impossible. N’importe quel écolier le confirmera.
Bref, ce sera le cauchemar pour un rendement, qui sera médiocre, et qui conduira à ce que la taxe soit prélevée sur des portefeuilles de titres que des particuliers doivent vendre, pour des motifs personnels, ou que ces mêmes particuliers soient confrontés à des circonstances auxquelles ils doivent faire face, telle une offre publique d’achat (OPA).
Alors, si j’étais le ministre des Finances, ce que je ferais serait d’augmenter le taux de l’impôt des sociétés de manière infinitésimale, pour les sociétés belges, et/ou augmenter la taxe sur les comptes-titres. Parfois, il vaut mieux faire preuve de lucidité et de réalisme politique plutôt que de s’enferrer dans des réalités parallèles.