Paul Vacca
La réussite n’est-elle qu’une question de chance ?
Et si parmi les nombreuses explications du succès de Donald Trump, la plus probable était qu’il avait de la chance ? De brillantes éditorialistes du New York Times se sont senties forcées de l’admettre. Pamela Paul parle de “lucky dog” reconnaissant que si, selon l’expression consacrée “chaque chien a son jour, Trump a eu beaucoup plus de chance que le cabot moyen”. Lydia Polgreen, quant à elle, reconnaît que “même si nous sommes tentés d’attribuer de grandes causes historiques à sa victoire, l’aspect le plus déterminant et le plus sous-estimé est que Trump est tout simplement un sacré lucky bastard“.
Seulement voilà, beaucoup de lecteurs ne se satisferont pas d’une telle analyse la jugeant peu scientifique. La chance n’est-elle pas l’explication paresseuse que l’on sert quand on n’a justement aucune explication à fournir ? Ou, pire, n’est-ce pas la raison invoquée par les perdants pour s’exonérer de leur propre défaite ?
Pourtant, la chance en tant que facteur explicatif du succès – en politique, dans les affaires ou dans les arts – est en train de gagner ses galons de scientificité. Emma Jacobs du Financial Times montre dans une tribune intitulée “Pourquoi c’est souvent la chance et non le talent qui nous mène au sommet” que les chercheurs intègrent de plus en plus cette donnée dans leurs analyses. Tomas Chamorro-Premuzic, psychologue des organisations, par exemple, estime que la chance représente 55% du succès, définissant la chance comme tout ce qui n’est pas talent ou effort, à savoir l’argent, le lieu de naissance ou la famille.
D’autres chercheurs comme Chengwei Liu et Mark de Rond considèrent que la chance joue un rôle si prépondérant dans la réussite que nous serions bien inspirés de rétablir la “lotocratie”, cette forme de gouvernance qui avait cours dans les anciennes républiques grecque ou vénitienne, en sélectionnant les dirigeants de grandes entreprises au hasard. Ainsi, notent-ils, plus besoin de rétribuer aussi royalement les CEO qui devraient leur poste au tirage au sort.
Pourquoi rechignions-nous collectivement à évoquer la chance comme un des facteurs clés de réussite ? Peut-être parce qu’elle minimise notre spécificité et notre part de mérite. Tout juste concède-t-on parfois à évoquer la chance en parlant de “rencontres” ou d’”opportunités” mais comme un habillage rhétorique pour se la jouer modeste. Ou comme une cerise sur le gâteau : la chance ne sourit-elle pas aux plus méritants ?
Peut-être aussi parce qu’évoquer la chance ne cadre pas avec le récit dominant de la réussite rédigé avec des valeurs personnelles et du volontarisme. C’est ce que démontre brillamment Samah Karaki, docteure en neurosciences, dans son essai Le talent est une fiction, paru chez JC Lattès. À partir des dernières données de la recherche, elle montre à quel point les mythes populaires liés à la réussite – les success stories – forgent notre rapport au mérite contribuant à éclipser les facteurs exogènes qui ont pourtant permis à ce talent de s’exprimer. Samah Karaki ne nie pas l’existence du talent en tant que tel mais apporte un changement de perspective précieux : le talent n’est pas l’unique cause efficiente de la réussite, mais le récit a posteriori fait de cette réussite.
Peut-être, enfin, parce que cela nous rassure de croire aux dogmes du talent et de la méritocratie qui nous offrent la confortable impression d’être en terrain rationnel : car qui dit chance dit aussi malchance. Et puis, si la réussite n’est faite que de chance, ne faudrait-il pas alors faire le deuil des coachs en leadership, des séminaires de motivation et des posts inspirants de LinkedIn ? Quel dommage ! z
Évoquer la chance ne cadre pas avec le récit dominant de la réussite rédigé avec des valeurs personnelles et du volontarisme.
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