Bruno Colmant
La monnaie comme étalon du temps : le rôle crucial du taux d’intérêt
Que penser du taux d’intérêt, déjà mentionné dans le Code d’Hammourabi, qui date de près de quatre millénaires ? Il n’existe pas à l’état naturel. L’intérêt est à la monnaie ce que le salaire est au travail. Il n’est donc pas consubstantiel à la monnaie, mais à sa dépossession, exactement comme le salaire est une marchandisation de la force de travail. Le taux d’intérêt répond aussi à la confrontation entre la demande et l’offre de monnaie dès que les transactions ne se font plus au comptant.
Le taux d’intérêt comprend plusieurs composantes : la rémunération pour la dépossession de la monnaie (qu’on qualifie de taux d’intérêt réel), une couverture contre l’inflation anticipée et une protection contre le risque d’insolvabilité de l’emprunteur (appelée la prime de risque de crédit ou la prime du risque de contrepartie ou encore le spread de crédit).
Albert Einstein (1879-1955) aurait dit que le temps avait été inventé pour que tout ne se passe pas au même moment. La monnaie est, quant à elle, une expression humaine qui se juxtapose sur la ligne de temps… pour que tout ne se passe pas non plus en même temps.
Et on attribue la paternité de la phrase « Le temps, c’est de l’argent » au philosophe américain Benjamin Franklin (1706-1790), qui voyait l’augmentation du capital monétaire comme un devoir moral, et avançait que le seul intérêt de la monnaie, c’est son emploi. Cette phrase ramène à l’intérêt qui est le prix monétaire du temps. Pourtant, elle recouvre peut-être un champ de réflexion plus profond. En effet, le temps n’est pas conceptualisé. Il est abstrait et insaisissable, tandis que la monnaie est une formulation conventionnelle. Le temps n’a pas de valeur, car on ne peut ni le vendre ni le donner.
Cependant, l’usage du temps a une valeur. Il s’agit du temps de fabriquer un bien et de produire un service, le temps de déconstruire un bien ou le temps de le consommer avant une date de péremption. Le temps efface des valeurs et en magnifie d’autres. On pourrait dès lors envisager la monnaie comme un étalon du temps, dont la valeur relative serait fixée par une coupole fiduciaire. Dans cette vision, très éloignée de l’approche marxiste et relevant de la finance moderne, le prix de cet étalon est le taux d’intérêt.
Sous cette orientation, la monnaie serait un gradient du temps, ou plutôt une régression de la gratuité du temps qui permet un échange d’utilités. La stabilité du pouvoir d’achat de la monnaie refléterait alors la prévisibilité que les autorités publiques accordent au futur.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici