Bruno Colmant

La lassitude des nations vieillissantes

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Est-ce le crépuscule mélancolique d’une ère autrefois flamboyante ? Une soif insatiable et jamais assouvie de prospérité ? L’effritement progressif et implacable du modèle socioéconomique post-guerre ?

Ou un signal d’alarme plus inquiétant encore : assisterions-nous à un véritable effondrement social, doublé d’un épuisement économique généralisé?

Depuis bien avant la crise de 2008, nous avions érigé un monde en proie à une susceptibilité narcissique exacerbée. Et puis, subitement, sans aucun avertissement, l’impitoyable déception économique a surgi, impardonnable. Aujourd’hui, les soubresauts financiers de 2008 apparaissent presque comme ordinaires en comparaison. Cependant, ils dissimulent une réalité plus sombre et plus pernicieuse : l’absence criante d’une vision novatrice et inspirante pour nos communautés, et plus gravement, l’omission d’un plan d’action pour une prospérité durable destiné aux générations futures.

Les jeunes se trouvent déconcertés, incapables de comprendre pourquoi ils sont condamnés à hériter des problèmes que la génération précédente a imprudemment négligés ou choisi de ne pas résoudre. Les opportunités d’emploi s’évaporent, et ils sont aux prises avec l’idée effrayante d’être les débiteurs d’une montagne de dettes, y compris environnementales, contractées par leurs prédécesseurs. Ils prennent la pleine mesure de l’énorme fardeau que représente la dette publique, un poids qu’ils n’ont ni le désir ni les moyens d’éliminer. Pire encore, ils perdent confiance. En eux-mêmes, et en leur pays.

Alors, quel message pouvons-nous leur transmettre ? Au fil des quatre dernières décennies, quelque chose s’est irréfutablement désagrégé. Mais le tableau est encore plus sombre. Ce n’est pas un naufrage abrupt, mais plutôt une dérive lente, insidieuse et inévitable. Une mélancolie sourde et inexprimée. Un sentiment de résignation. De nombreux citoyens ressentent ce mal-être profond, mais peu parviennent à mettre des mots sur cette sensation. C’est une impression diffuse, marquée par l’amertume des gloires révolues et l’incompréhension des réalités contemporaines. Une nostalgie lancinante pour les années 1960, lorsque les nations européennes promettaient un avenir radieux et l’insouciance du plein-emploi. En quelques décennies, nos communautés ont été radicalement métamorphosées.

Par un choix délibéré ou une acceptation résignée, les solutions collectives ont été abandonnées au profit d’une relation avec l’économie de plus en plus individualiste. Comme si le tissu social s’était progressivement effiloché, laissant place à une attitude transactionnelle vis-à-vis de l’enrichissement. À l’image d’un alliage qui se désintègre, les classes sociales se sont dissociées et l’individu a pris le pas sur le groupe.

Quelle est l’origine de ce basculement ? Il y a, bien sûr, des facteurs conjoncturels qui ont catalysé l’expansion de l’économie de marché : la démocratisation de l’information, la libéralisation mondiale des échanges commerciaux, et bien d’autres. Mais je soupçonne un autre élément d’une importance cruciale : la déperdition de valeurs universelles qui incitaient à une pensée collective et solidaire. Les États n’ont pas suffisamment œuvré pour promouvoir et incarner un projet sociétal fondé sur la solidarité.

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