Philippe Ledent

La géopolitique des monnaies

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

La possibilité d’une monnaie des Brics susceptible de remettre en cause la domination du dollar illustre le fait que géopolitique et monnaie sont indissociables.

Il ne faut pas être un grand stratège pour observer que les équilibres géopolitiques sont en évolution. Ceci a forcément des implications économiques multiples. On pense naturellement au commerce international. Mais sur le plan monétaire, la géopolitique est également cruciale.

Après la Seconde Guerre mondiale, le dollar s’est installé comme monnaie clé du bloc de l’Ouest. C’était somme toute assez logique dans un contexte où les Etats-Unis devenaient la première puissance mondiale, reprenant le flambeau de la Grande-Bretagne et de sa monnaie.

Ceci étant, la question de la monnaie internationale, et en particulier dans le cadre imaginé par les Américains à la sortie de la guerre, a suscité les interrogations des économistes les plus influents de l’époque, que ce soit J.M. Keynes dès 1944 ou R. Triffin dans les années 1968. En effet, la monnaie internationale et de réserve jouit de privilèges importants, ce qui est bénéfique à l’économie dominante… mais suscite également les convoitises des challengers.

Mais en l’absence de tels challengers, certainement après l’éclatement du bloc soviétique, le statut du dollar n’a jusqu’à présent jamais été remis en cause, pas même après l’avènement de l’euro. Aujourd’hui, le dollar est impliqué dans 45% des opérations de change, 40% des transactions commerciales et près de 60% des réserves de change des banques centrales.

La question de la monnaie comme outil d’influence a mis du temps à percoler.

Dans les années 2000, la mondialisation (fondée sur des transactions libellées en dollars…) a pourtant permis l’émergence d’un nouveau groupe (on ne parlera pas encore de bloc) de pays fermement décidés à peser non seulement sur l’économie mondiale mais également sur la géopolitique. Le groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a alors tenté de faire entendre sa voix. Néanmoins, les vitesses très différentes de développement économique de ces pays, ainsi que les lignes politiques et les objectifs divergents, ont souvent desservi le groupe au fil du temps. Par ailleurs, la question de la monnaie comme outil d’influence a mis du temps à percoler. Personne ne remettait vraiment le dollar en question.

Mais les ambitions de certains pays et les tensions avec les Etats-Unis ont changé la donne ces dernières années. L’actualité géopolitique accélère bien entendu ce mouvement. Ainsi, le quinzième sommet des Brics qui s’est tenu les 24 et 25 août derniers a retenu davantage l’attention que les 14 sommets précédents. Les Brics veulent d’abord rallier de nouveaux membres.

Mais l’utilisation accrue des monnaies locales et la possibilité d’une monnaie des Brics susceptible de remettre en cause la domination du dollar américain ont aussi été abordées, ce qui illustre le fait que géopolitique et monnaie sont indissociables : toute expansion du groupe des Brics déterminera la vitesse à laquelle le bloc adoptera des systèmes commerciaux et financiers en dehors de la sphère du dollar.

Bref, la question de la dé-dollarisation revient en force. Mais la volonté n’est pas de corriger les déséquilibres du système monétaire actuel et de poursuivre la mondialisation sur des bases plus saines. Non, on parle ici de concurrents, de compétitions, de contrepoids, comme autant de signes d’une inexorable démondialisation.

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