Amid Faljaoui
La génération anxieuse et l’économie de la dopamine
Le problème des éditeurs français, c’est qu’ils traduisent moins souvent et avec retard les livres publiés en anglais. C’est dommage car les ouvrages les plus remarquables sont souvent édités en anglais. Nos amis hollandais et allemands sont sur ce point plus rapides sur la balle, sans doute parce que les éditeurs de ces pays sont davantage familiarisés avec la langue anglaise. J’en parle parce qu’il y a un livre à lire en ce moment pour sauver nos enfants de l’anxiété – et ce livre, c’est celui de Jonathan Haidt, « La génération anxieuse », qui doit encore être traduit en français comme je viens de le dire.
Mais d’abord, qui est Jonathan Haidt ? C’est le plus brillant et le plus connu des professeurs de l’université de New York, ces conférences vidéos ont été vues des millions de fois et ses livres sont des best-sellers, et il arrive même à mettre d’accord les Républicains et les Démocrates sur ses analyses. Et c’est encore le cas avec ce dernier livre dans lequel, il propose aux familles américaines de sauver leurs enfants tant qu’il est encore temps. Même s’il se braque sur les Etats-Unis, ses propos sont aussi utiles ici en Europe. Son livre fait le constat que les adolescents ont des problèmes de santé mentale inconnus jusqu’alors, qu’ils affichent un recul marqué de leurs résultats scolaires, et qu’ils ont des difficultés à s’insérer dans le monde adulte.
J’imagine que ce constat résonne aussi chez vous. Et pour lui, ce constat – même s’il ne peut pas le démontrer mathématiquement – est le résultat de l’influence quotidienne des géants de la tech. J’en ai souvent parlé ici, ces géants de la tech nous rendent d’éminents services mais la contrepartie, c’est que nous sommes entrés dans une économie de l’attention – expression polie pour dire qu’elle détruit ou fragmente notre attention et surtout celle des plus jeunes. Et j’ai même consacré ici même sur cette antenne une séquence sur l’économie de la dopamine qui est la nouvelle forme subtile et perverse du capitalisme.
En Chine, pays autocratique, la réponse a été brutale : les jeunes n’ont pas accès aux réseaux sociaux et à internet que quelques heures par jour. En Europe et aux Etats-Unis, c’est impensable d’agir de la sorte, et c’est là que l’ouvrage de Jonathan Haidt est intéressant : pour lui, ce n’est pas à l’Etat, ni aux professeurs à faire la police mais aux individus, aux familles.Il préconise quelques conseils simples en apparence mais que presque personne ne pratique :
1. Pas de smartphone avant 14 ans – ou alors juste un téléphone qui peut envoyer des textos et permet de contacter l’enfant – mais rien d’autre – pourquoi cette interdiction ? Mais parce qu’il ne faut pas donner à un enfant l’accès à Internet dans sa poche, alors que des personnes étrangères peuvent le surveiller ou qu’il peut tomber sur des vidéos de têtes décapitées.
2. Pas d’accès aux réseaux sociaux avant 16 ans. La raison ? C’est la période de leur puberté, la période la plus fragile et donc la plus influençable.
3. Inciter les écoles à bannir les smartphones, tout simplement, ni dans les poches, ni dans les cartables. Rien – ce professeur d’université demande aux parents de se rappeler le moment où ils allaient à l’école, peuvent-ils imaginer qu’ils pouvaient à l’époque amener à l’école, leur télévision, leur lecteur de CD ou leur walkie-talkie ? Non, évidemment, ce serait vu comme une folie. Pourtant, c’est ce que nous faisons quotidiennement avec les jeunes aujourd’hui. Et après, on se demande pourquoi ils sont anxieux, moins bons à l’école ou coupés du monde réel. Au fond, ce professeur d’université nous rappelle pourquoi les patrons des géants de la tech interdisent à leurs enfants l’accès aux smartphones et aux écrans… normal, un dealer ne donne jamais de la coke à ses enfants.
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